Boy A. Un titre étrange pour un film loin de l'être. Que peut-il se cacher derrière le "A" ? Question obsédante jusqu'à ce que l'on soit face à la cause de la tourmente. Jusqu'à ce qu'on soit face à cet objet filmique qui ne peut laisser aucun d'entre nous indifférents. Voyage au milieu d'un petite merveille cinématographique.

A comme Adaptation. Boy A est l'adaptation d'un roman écrit par Jonathan Trigell intitulé Jeux d'enfants. Ce livre raconte la difficile réinsertion d'un ami de l'écrivain après avoir été incarcéré dans un centre de détention pour mineurs suite à un délit. Sous la plume du scénariste Mark O'Rowe, le délit se meut en crime, et l'on entre dans une sphère purement fictionnelle qui a pris soin de ne pas se référer explicitement à l'histoire vraie.

A comme Anglais. Réalisé par John Crowley, réalisateur d'Intermission en 2003 (inédit dans les salles françaises malgré la présence de Colin Farrell), Boy A est un film 100% britannique, de sa production (Cuba Pictures, Channel Four Films) à ses acteurs (on pourrait chipoter en précisant que Peter Mullan est né en Écosse, mais après tout, nous restons dans ce que l'on appelle le Royaume-Uni). Précision nécessaire car le long métrage est loin des codifications hollywoodiennes du genre. Que cela soit le jeu des acteurs, avec un accent très prononcé et des syllabes parfois avalées, ou la mise en scène, moins démonstrative mais davantage proche de ses comédiens.

A comme Acteurs. L'autre force de Boy A, c'est son casting. Andrew Garfield est renversant dans le rôle de Jack Burridge, son interprétation à fleur de peau faisant ressentir à chaque seconde l'intensité frémissante d'un jeune homme perdu face à un monde qu'il redécouvre. On le sent fragile, de corps et d'âme cristallins qu'une seule secousse pourrait briser. Les rares sourires venant se dessiner sur son visage, il les doit à Terry, ange gardien et assistant social qui tente de l'aider à se réinsérer dans une société qui ne veut pas de lui. Peter Mullan nous montre dans ce rôle la pleine mesure de son talent, rappelant à ceux qui l'auraient oublié qu'il n'a pas gagner le prix de l'interprétation masculine lors du Festival de Cannes en 1998 pour rien (merci à Ken Loach, lui ayant fait confiance pour lui confier le rôle de Joe dans My Name Is Joe). Deux acteurs en état de grâce apportant une profondeur et une sensibilité sans égale.

A comme Alternance. Boy A raconte donc l'histoire d'un jeune homme qui aurait commis un crime atroce étant jeune enfant et qui, après avoir passé toute son adolescence en prison, se voit offrir une seconde chance. Sa libération a tout de même un prix : l'Angleterre n'a pas oublié la cruauté de ses actes, et se retrouve indignée lorsque la presse annonce sa remise en liberté. Dans le coeur des gens brûle le désir de voir le coupable des méfaits six pieds sous terre. Pour sa sécurité, Éric va devenir Jack. Il devra préserver son identité secrète malgré l'acharnement des médias à vouloir le retrouver s'il veut garder une chance de recommencer une nouvelle vie. Que Jack soit coupable ou pas n'est pas le sujet. Ce n'est pas le souci de John Crowley. C'est pourtant celui du spectateur, jeté à bras-le-corps dans un récit qui se déroule sur deux époques : évènements présents et faits passés se mêlent tout au long du film, Boy A montrant alternativement le contemporain et l'épisode ayant conduit à la tragédie par la biais d'inserts subliminaux venant hanter Jack. Une idée qui, si elle n'est pas originale, a le mérite de nous tenir en haleine durant 94 minutes, jusqu'à ce que le générique de fin démarre.

A comme Accompagnement. À travers ce sombre et douloureux contexte, le cinéaste s'intéresse avant tout à l'insertion de Jack, à sa tentative de faire parti d'un monde où il n'a plus sa place. La composition des plans devient le reflet de l'âme de ses personnages, accompagnant ceux-ci au gré du déroulement du récit. Car ce qui frappe très rapidement dans la mise en scène, c'est que Jack est un personnage qui se trouve presque toujours bord-cadre mais jamais hors-champ. Il est celui qui est en marge, celui qui tente de se faire une nouvelle place mais qui se cache, qui est effrayé par la tâche herculéenne qui l'attend. La séquence où il sauve une petite fille suite à un accident de voiture prend alors tout son sens lorsqu'il occupe soudainement le centre de l'écran. Plus qu'à aucun autre moment du film. Une association rigoureuse entre agencement et narration qui montre qu'avec peu de moyens et un brin de créativité artistique, on peut faire beaucoup.

A comme Amour. Autre thème abordé par Crowley avec candeur, l'histoire d'amour naissante entre Jack et Michelle (Katie Lyons), véritable sauf-conduit vers la vie pour Jack au point qu'il prononcera les mots "je t'aime" avant d'avoir eu le temps de saisir leur portée, avant d'avoir pu ressentir leur ampleur. Jusqu'à ce que cela arrive vraiment. Jusqu'à ce que ce sentiment intense et pénétrant vienne lui apporter l'oxygène dont il a besoin pour ne pas suffoquer. Un amour qui pourtant se construit sur le fil du rasoir car si l'affection est là, les racines du mal demeurent, cachées, voilées, latentes. Une fondation au sous-bassement friable bâtie sur le mensonge et le non-dit qui tend à s'écrouler à tout instant, rendant plus mélancolique cette histoire qu'elle ne l'est déjà.

Finalement, A comme A ne manquer sous aucun prétexte !
Kelemvor
8
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le 20 mai 2012

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Kelemvor

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