Son film "à la Capra"

S'il est aujourd'hui admis que Clint Eastwood est l'un des plus grand réalisateurs actuels, cette affirmation aurait paru ridicule à bien des cinéphiles il y a 25 ans. Pourtant, "Bronco Billy", datant de 1980, est certainement l'un des tous meilleurs films de sa filmographie, au point qu'on se demande comment ses qualités avaient pu échapper alors à l'attention générale. Critique à la fois drôle et amère du monde moderne, le film allie une légère bouffonnerie - rare dans l’œuvre d'Eastwood - avec une vraie justesse dans la description de moments psychologiquement extrêmes. Ainsi, la scène de la confrontation de Billy avec le shérif fasciste mérite de figurer parmi les meilleures d'Eastwood, et il a l'intelligence de ne pas offrir au spectateur le confort moral d'une vengeance, plus tard dans le film, comme quasi tous les films hollywoodiens l'auraient fait : si la générosité profonde de sa vision de l'humanité est indéniable, "Bronco Billy" a l'élégance de ne pas prendre ses spectateurs pour des imbéciles. On peut donc comprendre pourquoi certains critiques considèrent aujourd'hui que Clint Eastwood avait réalisé avec "Bronco Billy" son "film à la Capra", où l'humour et l'auto-critique permettaient que la belle tendresse dont il fait preuve ne dérive pas vers un excès de bons sentiments : le résultat est un film curieusement enfantin, comme si ce monde de gens pauvres mais bons, n'avait pas plus de réalité dans l'Amérique d'aujourd'hui que le Neverland de Peter Pan, mais c'est aussi un film qui, derrière la chaleur humaine qui se dégage de la petite troupe de losers réunie autour de Clint, questionne joliment la disparition d'un monde de valeurs et de sentiments, à jamais emporté par la marche accélérée du progrès. Alors, Eastwood réactionnaire - soit la grande question qui s'est toujours posée autour de sa filmographie ? Peut-être, mais sans se prendre au sérieux pour autant, ce qui fait toute la différence… [Critique écrite en 2006]