Le cinéma d’Ira Sachs est ce qu’on pourrait appeler un faux-ami. On pense le connaître, le comprendre facilement au premier coup d’œil, alors qu’au fond il est tout autre et se dérobe constamment à cette signification première. Avec Little Men, son dernier film, Sachs prouve une nouvelle fois qu’il n’a pas son pareil pour décrire la complexité des relations humaines, sans avoir l’air d’y toucher. Le film dissémine en effet les problèmes relationnels à l’œuvre dans une famille new-yorkaise dans l’apparente simplicité d’une mise en scène qui donne l’impression de faire oublier ce qu’elle montre et raconte (alors que ce n’est pas du tout le cas). L’analyse des formes de violences relationnelles constitue pourtant le cœur du cinéma d’Ira Sachs, et il est impossible d’en faire l’économie si l’on veut tenter de le comprendre plus en profondeur. Lorsqu’on lit des textes consacrés au cinéaste, c’est fréquemment en termes de « douceur », de « sensibilité » ou de « simplicité » que son œuvre est qualifiée. C’est oublier que ses films racontent des histoires de manière très complexe, et que les enjeux du récit ont autant de valeur que la mise en scène. Pour bien les comprendre, il faut abandonner la posture du critique qui accorde tous les pouvoirs du cinéma à la mise en scène (cf. la politique des auteurs…). Little Men, plus encore que Love is strange, dégage lui aussi ce sentiment de plénitude et de simplicité dans sa forme. Mais, bien que ce soit une caractéristique du cinéma d’Ira Sachs, cela ne doit pas faire oublier que celui-ci se partage entre cette simplicité formelle et une grande finesse d’écriture qui rend compte de la complexité des rapports humains et sociaux. Dans Little Men, les relations qui unissent les personnages reposent essentiellement sur l’hypocrisie, la lâcheté et les non-dits, sans que cela ne soit dissimulé au spectateur. C’est le sujet du film, bien plus que la douceur et la simplicité qui se dégagent du style d’Ira Sachs. On pourra certes sauver l’amitié entre les deux « little men », Jake et Tony, mais celle-ci n’échappe pas à la logique narrative du film, et ne s’oppose certainement pas à la férocité du monde adulte. Nous ne voulons pas ici réveiller la vieille dichotomie opposant le scénario à la mise en scène, si celle-ci a jamais eu un sens. Tout est clairement dit dans Little Men malgré la dissémination de la narration. Il n’y a pas de flou ou d’indistinction au profit d’un insondable mystère de l’existence que seuls les battements de la mise en scène pourraient approcher, de manière autonome, à côté des personnages et des relations qu’ils entretiennent. Si les films d’Ira Sachs paraissent si simples et si doux, c’est parce qu’ils rejoignent le désir qu’ont les personnages d’apaiser et de maquiller leur quotidien traversé par les difficultés en tous genres (familiales, sociales,…). Et c’est précisément cette nuance qu’il faut garder à l’esprit pour éviter tout raccourci.
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