Cam
5.1
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Film de Daniel Goldhaber (2018)

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Pertinent, fascinant dans sa montée en puissance mais hélas inabouti, ce premier film de Daniel Goldhaber est une des rares (co)productions Blumhouse à sortir des sentiers battus par son univers et sa propension à s'amuser avec toutes les ramifications que son passionnant sujet lui offre. C'est bien simple, imaginez un épisode de "Black Mirror" sur le monde glauque des cam-girls, ces filles qui, pour gagner leurs vies, accédent via webcam aux demandes tordues d'inconnus sur le net, et vous aurez une idée assez proche de ce à quoi "Cam" peut ressembler.


Alice aka Lola sur son profil en ligne est une cam-girl ne vivant que pour grimper les échelons du top des filles du site dont elle fait partie. Elle est sur le point d'atteindre le classement des cinquante les plus en vue mais, pour se faire remarquer et attirer de nouveaux internautes, elle cède de plus en plus à des demandes extrêmes. Un jour, après en être venue à un numéro pouvant la mettre potentiellement en danger juste pour augmenter son nombre de vues, il lui devient impossible de se connecter à son profil. Pire, elle remarque qu'elle est déjà en ligne et qu'une femme lui ressemblant trait pour trait est en train de faire ses shows à sa place...


La scène d'introduction, remarquable, résume à elle seule l'engrenage dans lequel son héroïne est prisonnière. Dans le brouhaha exponentiel de ses fans exultant en commentaires et sa montée dans le classement des cam-girls de sa plateforme, Alice en arrive à accepter toutes les demandes, obsédée par le simple fait d'amplifier sa renommée dans le milieu. Évidemment, lorsque la pire survient et qu'elle s'exécute, on devine une astuce derrière mais, en tant que spectateur, on ne s'en étonne pas et c'est sans doute ça le plus terrible, le sourire inconscient de l'héroïne sur ce qu'elle vient de mettre en scène nous renvoyant au fait que le plus intolérable puisse se monnayer aujourd'hui sans que cela nous fasse sourciller outre mesure...
Complètement enfermée dans son univers virtuel (la chambre de ses shows, sorte de "Pays des Merveilles" en dehors du monde extérieur, est la seule pièce réellement aménagée de sa maison), Alice n'est presque plus que Lola, ce fantasme créé par ses "fans" et allant toujours plus loin afin de devenir la numéro une de son site. Quand plusieurs incidents mettent à mal son ascension dans le classement et qu'elle en vient à courir de vrais risques, c'est à ce moment que le film dévoile son intrigue de double virtuel, parfaite métaphore de l'inconscient fissuré de la jeune femme entre son moi réel et sa personnalité renvoyée par les écrans. Par cette thématique, "Cam" parle bien entendu à tous les utilisateurs des réseaux sociaux se créant une forme d'identité idéalisée pour plaire à autrui et on ne peut qu'imaginer le cauchemar que serait de voir cette dernière remplacer l'être dont elle est issue et devenir populaire au point d'effacer son hôte d'origine.
Ce cauchemar est bel et bien réel pour Alice qui voit Lola, son identité fantasmée, s'échapper d'elle et ravir tous ses fans grâce de nouveaux shows. En plus de ce choc qui l'expulse de fait de sa vie virtuelle, Alice doit affronter un monde réel qu'elle a trop longtemps ignoré à travers les conséquences de ses choix sur sa famille et sa rencontre avec deux "fans" représentant les pires extrémités de l'anonymat d'Internet (un jeune stalker introverti et un homme bien trop affable pour être honnête), c'est d'ailleurs dans son enquête sur le phénomène dont elle est victime qu'elle dévoilera les ombres de la personnalité de ces deux derniers.
Gros point faible de "Cam" qui l'empêche de n'être autre chose qu'une petite bonne surprise, la quête de vérité d'Alice pour simplement comprendre ce qui lui arrive oscille constamment entre le rationnel et le fantastique en enchaînant plusieurs fausses pistes que l'on sait d'avance obsolètes vu que l'ensemble préfère en permanence privilégier une réflexion métaphorique.
Bien sûr, celles-ci sont avant tout là pour explorer les facettes les plus sombres qui gravitent autour de ce type de personnalité virtuelle en la confrontant au monde réel mais, sur le plan de l'intrigue, les directions qu'elles induisent ne font que gagner du temps vers une conclusion qui ne sera forcément pas satisfaisante en termes d'explications rationnelles. Et, sans trop en dire, ce sera bien le cas, l'acte final poussera la confrontation schizophrénique entre Alice et Lola jusque dans ses derniers retranchements avec une très chouette idée de mise en scène à la clé.


En alliant nouvelles technologies et plus bas instincts humains dans une critique de notre rapport au virtuel au sein de l'univers méconnu des cam-girls, "Cam" touche au plus juste avec son discours métaphorique dont la pertinence ne se dément jamais mais il échoue quelque part à le rendre crédible en tant que simple intrigue en suggérant en permanence des explications qui resteront à l'état de bribes. On a comme l'impression d'être face à un bon épisode de "Black Mirror" dont la fin n'a été pensée que sur la base de la piste de réflexion qu'elle offrait. C'est un petit peu dommage mais, en même temps, pour une fois qu'une (co)production Blumhouse a de l'intelligence à revendre, ne boudons pas notre plaisir ! D'autant plus que la mise en scène et l'écriture du duo Daniel Goldhaber/Isa Mazzei tient on ne peut plus la route et que Madeline Brewer est franchement excellente dans un rôle principal omniprésent. À découvrir.

RedArrow
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le 16 nov. 2018

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