On connaît assez peu en France le cinéma africain, à part celui qui a régulièrement l'honneur de quelques festivals prestigieux et internationaux. Mais le cinéma bis et populaire est aussi rare que difficile d'accès jusqu'à se retrouver condamner à l'oubli à l'image de l'acteur et réalisateur Alphonse Beni mort ce mois de mars 2023 dans l'indifférence la plus totale. Pourtant Alphone Beni a réalisé de nombreux films, toujours de manière indépendante et surtout toujours avec l'envie de proposer des spectacles populaires basés sur son amour du polar, de l'action et de la castagne. Alors bien sûr le résultat n'est pas toujours bien probant et Alphone Beni occupe une place de choix dans le cœur des fans de nanars, mais comme toujours la sincérité et l'abnégation du bonhomme à faire du cinéma populaire rendent le personnage des plus sympathique. Cameroun Connection est par exemple le tout premier film camerounais tourné en cinémascope et 35mm, preuve que Alphone Beni voulait faire du cinéma qui claque.

Cameroun Connection nous raconte l'histoire de l'inspecteur Baïko (Alphonse Beni lui même), un flic incorruptible du Cameroun qui enquête sur la mort d'une jeune fille. Au fil de son enquête qui le conduira jusqu'à Paris notre impassible inspecteur se retrouvera confronté à un imbroglio mêlant prostitution, trafic de drogue, corruption et sorcellerie.

Assez clairement l'intrigue de ce Cameroun Connection est assez obscure et bien bordélique, on sent que Alphonse Beni voulait dénoncer la corruption dans son pays, la traite des femmes africaines, la drogue qui gangrène la jeunesse mais le scénario a un peu de mal à raccrocher tous les wagons d'un train qui semble souvent partiellement rouler à côté des rails. Le film enchaîne donc les séquences jusqu'à devenir parfois limite incompréhensible laissant au spectateur le soin de recoller tous les morceaux si il en a encore le courage. Toutefois l'essentiel reste clairement lisible et le dirty Harry du Cameroun, le Bebel de Yaoundé va castagner tous les méchants et faire triompher la justice. L'intrigue globalement reste un prétexte pour aligner des scènes d'action et surtout les séquences de bastons car Cameroun Connection est avant tout un film de kung-fu. On retrouve même au casting une des stars de la Bruceploitation avec Bruce Le qui incarne une homme d'affaire qui travaille entre la France et le Cameroun à la tête d'une fabrique de bières. Reprenant jusqu'au limite du running gag certaines gestuelles de Bruce Lee (Le coup du pouce contre la narine) le comédien possède au moins le mérite d'être un véritable combattant et artiste martial ce qui n'est pas vraiment le cas de Alphone Beni bien plus pataud et bien moins crédible dans l'exercice du combat. Lorsqu'ils combattent ensemble à l'écran et même si Bruce Le semble clairement être sur le frein à main, on tout de même la sensation de voir petit dragon agile et gros panda tout mou sur l'écran. Alphone Beni possède la même vélocité et rapidité qu'un Steven Seagal bedonnant dans une production tourné au smartphone dans un obscur pays de l'Est. Quant aux nombreux figurants qui attendent patiemment de venir se faire latter un par un par les deux compères , ils nous offrent un festival de mimiques, de grimages et de poses martiales assez hilarantes sans compter les bruitages et les petits cris du type  Aïe Aïe Aïe Aïe Aïe Aïe  . Cameroun Connection nous offre aussi une très longue course poursuite entre une moto et une voiture pas bien palpitante en terme d'intensité mais plutôt agréable à suivre.

Si Alphonse Beni a souvent réussi à faire des films en toute indépendance c'est qu'il s'appuyait sur des contrats publicitaires et des placements de produits parfois aussi subtils que la fausse pub au cœur du film La Cité de la Peur. Dans Cameroun Connection on roule en Toyota , on boit régulièrement de l'Orangina avec même un camion de la marque qui traverse lentement l'écran et surtout Bruce Le est le patron de l'authentique brasserie Nobra (Pas de chocolat donc) dont on va carrément visiter la chaîne de production façon film d'entreprise. Le film est également truffé de moments qui font penser que Alphonse Beni n'était pas un adepte de multiples prises lors du tournage; des petits ratés, des maladresse qui font souvent sourire et remette le film dans les petits aléas du quotidien avec la poésie de l'imprévu . On a donc des figurants qui tombent en voulant monter sur un bateau, des combattants qui peinent à garder leurs appuies sur un sol visiblement trop cirés, Alphone Beni qui manque de faire tomber le téléphone qu'il saisit et bien sûr des tas de figurants involontaires et badauds qui s'arrêtent pour regarder l'action, mon préféré de tous restant de loin ce type au premier plan qui semble supplier du regard la caméra pour que l'on dise coupez afin d'arrêter de se bouffer en pleine tronche de la poussière soulevée par les pâles d'un hélicoptère. Mais ce qui fait définitivement muter le polar d'action vers le savoureux nanar c'est la niveau de l'interprétation et surtout le doublage catastrophique et postsynchronisé n'importe comment. On ne va pas trop critiquer le comédien Alphone Beni qui traverse tout le film avec deux expressions mais qui au moins a le mérite de rester sobre, ni Bruce Le qui clone Bruce Lee de manière assez convaincante, en revanche le reste du casting dont un Paco Rabane lunaire dans le rôle de Paco Rabane est souvent en sur-régime bien peu aidé il est vrai par des doubleurs très très mal inspirés. Car le film bien que visiblement tourné en français a été entièrement redoublé et post synchroniser ensuite à Paris sans trop se soucier de coller parfaitement aux mouvements des lèvres des acteurs et actrices qui se retrouvent souvent tels des ventriloques à parler la bouche fermée. En même temps quand on a tellement de choses intelligentes et profondes à dire il serait dommage de se taire et le film est un magnifique festival de tirades surréalistes, idiotes, philosophiques et souvent hilarantes. Si la plupart des personnages parlent de manières assez classique certains se retrouvent affublés d'accents dont un marseillais du Liban et surtout le bon marabout Kui-Kui (ça ne s'invente pas) qui se retrouve avec un accent africain à la Michel Leeb assez gratiné. Je ne pouvais pas passer à côté du plaisir de citer et lister mes dialogues préférées mais je vais le faire en partie spoilers pour vous laissez le plaisir de les découvrir sur le dur si vous avez envie de vous aventurer vers Cameroun Connection.

Il est bon de commencer par quelques tirades pleines de sagesse et de bon conseil comme : "Il y-a des racistes partout même dans les boîtes de nuit " ou "On respecte les vieux surtout si ils sont sorciers". Et lors de son voyage à Paris l'inspecteur Baïko recevra de précieux avertissements de la part de quelques amis bien intentionnés comme : "Paris c'est dangereux il y-a beaucoup trop de travail – Attention il fait froid à Paris" et surtout ce magnifique conseil : " C'est dangereux Paris ne sort pas armé , n'oublie pas que tu es nègre et flic, deux raisons pour te méfier". Une fois à Paris , ville de tous les dangers mais aussi de tous les plaisirs, ce bon Alphone Beni va être recontacté par son amoureuse interprété par la comédienne Ariane Kha qui lui téléphone pour lui dire très sensuellement : "Il faut qu'on se voit flic de mon cœur", ce à quoi il répond avec tendresse et mesure : "Tu n'as pas changé avec ta grande gueule, grande folle que j'adore" . Mais l’inspecteur est aussi un homme droit et fidèle ce qui fera dire à un personnage : "C'est l'homme d'une seule femme je me demande si il est vraiment africain ?" . Mais forcément tout ça c'est encore plus drôle avec des accents à couper à la machette comme lorsque le sorcier marabout Kui-Kui se retrouve face à un Bruce Le super énervé et qu'il lui lance en s'agitant comme si il était sous acide : " Oh twa jé vé té touer , tu va mouwir, je vais té jétter un sort tiens, t'ira en enfer ça va te bwuler partout, les flammes de l'enfer te boufferont, tiens si j'agite ça c'est sûr tu vas mouwir ... ", Bruce Le répond alors d'un laconique "TA GUEULE !! " avant de le sécher avec un high-kick.

Autre moment merveilleux lorsque l'inspecteur Baïko se retrouve tranquille à discuter avec son pote marseillais et une jeune fille a laquelle ils auront le malheur de simplement demander son prénom et qui se lancera le regard vide dans l’énumération du CV de l'intégralité de son arbre généalogique : " Je m'appelle Miryam, ma mère était couturière, mon père fait le taxi, mon grand frère travaille au ministère de l'éducation nationale, ma sœur est au lycée, mon petit frère euhhhhh mon grand frère est groom à l'hôtel Dieu, mon oncle il est réparateur dans un garage à Douala " ; du coup le marseillais s’extasie : "Quelle famille !!". La fille continue mais d'un ton hésitant : "Ma grande sœur uhmmmmm ma grande sœur... " et la notre marseillais avec tout le tact et la sensibilité du sud : " Elle serait pas un petit peu pute ta grande sœur, tu l'a oublié... ", alors la fille repart de plus belle : " Et j'ai un cousin qui a un grand frère qui connaît un monsieur qui vit avec sa sœur... " , ce que le marseillais conclut par un définitif : " Putain vous arrêtez jamais de parler vous ". Et puis une dernière pour la route avec le magnifique " J'ai faim t'aurais pas un truc à boire ".

Alors comme souvent lorsque je critique un nanar j'ai l'ironie facile et le verbe moqueur pourtant j'ai beaucoup de respect pour ces artisans et bricoleurs de toutes ces magnifiques breloques cinématographique. Par tous les saints nanars, soyez Béni Alphonse.

Ma Note Nanar : 07/10

freddyK
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le 25 oct. 2023

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