Bien loin du Spring Break d'Harmony Korine, nous voici à présent à Montfavet, près d'Avignon et plus précisemment dans une institution religieuse, l'asile d'aliénés de Montdevergues avec Camille Claudel.

Pour son dernier film donc, Bruno Dumont (L'Humanité, Hors Satan) met en scène la grande sculptrice internée par sa famille pour troubles mentaux. Le point de départ du film fût une proposition de Juliette Binoche au réalisateur et le hasard fît qu'il était en train de lire une histoire de Camille et Paul.

Comme souvent dans tout les films de Bruno Dumont, la proximité avec le spectateur est d'une telle intensité qu'elle n'est pas très rassurante à priori, comme si nous avions une responsabilité. Et dès les premières images, partagé entre le sentiment d'être confronté entre deux univers antinomiques, il faut un peu de temps avant de voir Camille s'incarner sous les traits de Juliette Binoche. Mais si l'on adhère à la promesse du film, à la force du personnage de Camille, alors nous aurons le privilège de porter l'actrice, la soutenir et la voir se révéler dans son plus beaux rôle.

C'est tout le miracle de beaucoup de film de Bruno Dumont qui parle de ses héros comme des «naufragés des affects". Et à l'instar d'un Maurice Pialat ou d'un Robert Bresson, aucun autre de cinéaste n'a su saisir dans une nature douloureuse, voire tragique un mystère et une puissance touché par la grâce.

Le personnage de Camille Claudel s'inscrit donc naturellement dans la mythologie du cinéaste et particulièrement cet épisode de sa vie où elle a cessé de sculpter. Après Rodin donc, 20 ans plus tard même... il n'y avait plus d'amour pour liberer sa création. En se censurant, elle contient donc son œuvre de peur qu'elle ne soit trahi, qu'elle ne lui échappe encore.

Là encore le cinéaste imagine son film comme un peintre, sans pour autant faire de ses plans des tableaux, mais pour inviter le spectateur à plus de contemplation, de réflexion . En mettant en scène de véritables malades mentaux, de véritables soignantes, non par coquetterie mais par soucis de vérité, il nous vient des images des tableaux de James Ensor ou des gravures de Goya... et Camille abandonnée à cette horreur mais toujours animé par l'espérance : sortir de cet enfer peut être grâce à son frère Paul qui va lui rendre visite.

Paul est également un artiste, un écrivain animé du même génie que sa sœur probablement mais qui a su se proteger de la passion et de la folie en se convertissant, pense t il. Coincé entre une éducation bourgeoise, austère et son admiration pour Rimbaud, Paul, capable de grands discours poétiques et philosophiques sur la vie, la spiritualité est dépassé par le cas de sa sœur et n'a d'autre choix que de la laisser au sort que Dieu lui aurait inspiré. La seule chose qu'il peut faire est de lui rendre visite et il le fera jusqu'à la fin de sa vie.

Tout ceci fait de « Camille Claudel 1915 » un film magnifique, pudique, humble et pur.
Boris_Doussy
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le 6 déc. 2014

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Boris Doussy

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