Dans un Chicago divisé en deux parties jumelles mais imperméables l'une à l'autre, Helen étudie la légende du Candyman, croque-mitaine craint par la communauté noire qui vit dans les projects, "de l'autre côté du fleuve". Poussée par une curiosité qui va tourner à la fascination, elle va tenter de découvrir l'origine de la légende, et s'enfoncer progressivement dans les entrailles de la cité, jusqu'à devenir la proie du monstre. A moins que ce ne soit sa santé mentale qui vacille ?

Adaptant ici une nouvelle du grand Clive Barker, et trouvant un équilibre miraculeux entre beauté formelle, narration allusive et respect du genre, Bernard Rose réussit un pari vertigineux : donner à son film, et à son "monstre", la texture d'une légende urbaine. Cette notion, typiquement américaine, désigne le récit d'un événement tragique assez marquant pour qu'il devienne une histoire que l'on transmet oralement et massivement, déformé par les fantasmes des narrateurs, enrichi par des éléments d'autres histoires, elles-mêmes issues d'un chaos narratif similaire, etc...

Petite expérience : demandez autour de vous à quelqu'un qui a vu le film, ou en a au moins entendu parler, de vous dresser le portrait du fameux croque-mitaine. Il y a fort à parier qu'il mentionnera que c'est un grand Noir, affublé d'un crochet à la place de la main droite, et que pour l'invoquer, il faut réciter son nom 5 fois devant un miroir. Or, si l'on regarde bien le film, force est de constater que cette notion d'incantation ne se vérifie pas vraiment. Candyman apparait en effet avant tout lorsque l'on menace sa crédibilité, et qu'on entreprend de démystifier sa légende (par exemple lorsque Helen démasque un faux Candyman, provoquant le doute sur l'existence effective du croque-mitaine dans l'esprit de l'enfant noir qui l'accompagne alors).

Candyman n'est de fait que l'incarnation physique de sa propre légende, et joue son existence-même dans la survie de celle-ci. En découle une solitude forcée chez le monstre, dont le péché originel aura été son amour pour une femme blanche, ce qui le hisse au panthéon des grandes figures tragiques de l'horreur. La quête de vérité de l'héroïne s'allie alors à celle du spectateur, et son final ambigu entretient le côté insaisissable des récits autour duquel tourne toute la réflexion de Bernard Rose. La procession rend elle hommage à Helen ou la sanctifie-t-elle comme successeur du croque-mitaine ? Sans doute est-ce un peu des deux.

En entretenant le mystère sur les origines de son monstre, et en multipliant les chausse-trappes narratifs, Bernard Rose égare le spectateur qui, une fois que le souvenir du film s'estompe, garde en tête les éléments saillants mais erronés de sa légende, dûment mis en image lors de l'introduction du film, qui illustre les récits fantaisistes des étudiants interrogés par Helen dans le cadre de sa recherche.... Fait rare au cinéma, la légende urbaine devient donc extradiégétique, le spectateur du film propageant les rumeurs infondées rapportées par les protagonistes de ce même film ! Même le marketing de la saga qui naîtra de ce formidable premier opus fera de cette invocation toute droit issue du folklore des fables et des comptines un argument marketing, au point d'en faire un topos incontournable des scénarios des suites et du triste remake de 2021.

Candyman découle de la plus antique des interrogations menant à la création d'une fiction : "et si ?" : "Et si une rumeur s'incarnait, littéralement, et que sa seule chance d'échapper au néant était de continuer à se propager ?". Il y répond brillamment, et n'oublie pas d'être aussi un film à l'atmosphère urbaine unique, servie par la musique hantée de Philip Glass, par une réalisation élégante atypique pour le genre et l'époque, et un couple maudit Virginia Madsen / Tony Todd inoubliable.

Seet
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films de 1992, Revus en 2023 et Alzheimer prévention 2023

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le 28 oct. 2023

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Seet

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