Captain Fantastic marquait le retour attendu du très talentueux Viggo Mortensen dans un rôle à la mesure de son talent planté au cœur d’une prémisse alléchante : un père éduquant ses enfants en pleine nature se voit menacé de prison s’il se présente aux obsèques de sa femme qui vient juste de mourir. Pourtant, en dépit de cette intrigue prometteuse, le film se révèle très bancal tant sur le fond que sur la forme.


Le reste de la critique dévoile certains éléments de l’intrigue.


Il est d’abord aisé de constater que le film se présente avec des ambitions moralisatrices appuyées. La manière dont nous est présentée l’existence de cette famille insiste lourdement sur le côté idyllique de ce mode de vie. Il n’y a rien d’étonnant à cela venant d’un film se réclamant de la "mouvance Sundance", destiné à critiquer l’american way of life, et c’est un message qui a certainement plus de résonance outre-Atlantique qu’en Europe. Néanmoins le film peine à dépeindre clairement l’idéologie qui anime ce père de famille. Proclamer le pouvoir du peuple, tout en vivant en complète autarcie ; dénoncer le fascisme du capitalisme d’un côté et apprendre ses enfants à tuer de l’autre : il s’agit selon moi d’idéaux difficilement conciliables.


Le film présente ainsi cette famille parfaite, justifiant tous leurs comportements par la pureté de leurs intentions. Commettre un vol de supermarché : ce n’est pas un problème, ces produits sont issus de l’exploitation des travailleurs. Se conduire comme un connard égoïste en face de sa sœur : c’est normal, elle éduque mal ses enfants. Il n’y a donc aucun regret à faire preuve d’un manque absolu de tact puisqu’on a raison. Penser différemment que son voisin, c’est une chose ; mais agir comme un connard parce qu’on se pense supérieur s’en est une autre. Et c’est même étonnant venant de la part de ces gens se réclamant de la pensée de Platon ou de Socrates (ce qui aboutit à une certaine arrogance avec laquelle les enfants se permettent de mépriser les gens avant même de les connaître).


Ce qui est assez formidable avec ce film c’est que, quand finalement, le héros accepte de se remettre en question, que ses enfants se détournent de lui, et qu’on se dit qu’il va enfin apprendre quelque chose et se dire que tout n’était pas parfait dans son éducation, l’intrigue exécute une pirouette formidable : les enfants (cachés à six dans la trappe du bus, sans eau ni nourriture) retournent leur veste et expliquent à leur papa à quel point ils l’adorent. Le Captain Fantastic n’aura donc rien appris de ses mésaventures et pourra continuer à mener son pouvoir dictatorial.


Outre ses considérations idéologiques, le film pêche cruellement par sa forme. Je vais sembler tatillon, mais essayons d’examiner leur mode de subsistance. Le film en effet essaie de nous faire croire que Captain Fantastic parvient à faire vivre 7 personnes en pleine forêt et dans les montagnes en tuant une biche de temps en temps et avec une petite serre où pousse des légumes. Il faut se rendre compte qu’à ses altitudes et sous un feuillage comme celui là, les légumes et les fruits ne poussent pas beaucoup et demande énormément de soin. Quant à l’hiver, tout est enneigé.


Il est vrai que si l’on outrepasse ces considérations matérielles, le film pourrait rester vraisemblable, mais le problème c’est qu’il veut en faire trop, mais ce n’est que de la poudre aux yeux.


La scène du feu de camp où tous les enfants lisent religieusement leur livre en est l’exemple le plus parfait. La manière dont les enfants s’expriment est fausse : qui parle comme cela ? Le film essaie de nous faire croire qu’il suffit de lire des livres de physique pour maîtriser la physique quantique. Mais on rêve totalement ! La physique quantique ce sont des mathématiques extrêmement compliquées qu’on peut éventuellement apprendre à l’université, ce n’est pas une histoire d’écolier que l’on récite à ses petits frères et sœurs à l’âge de 18 ans. Ou encore lorsque le jeune homme flirte avec sa copine de camping et qu’il dit écouter Bach (vraiment exceptionnel, je suis époustouflé !), mais attention, il apprécie surtout les enregistrement des variations Goldberg par Gould et les suites pour violoncelles par Yo-Yo Ma : c’est pathétique. Je comprends bien le but des scénaristes : il faut en mettre plein la gueule aux spectateurs états-uniens qui vont être choqués. Oui il faut choquer la bien-pensance. Quoi ! Des enfants qui boivent du vin à table ? Mais ils font ça en France (sérieusement qui fait ça ?). Quoi ! Une adolescente qui lit Lolita ? Mais ça parle de pédophilie, c’est dégoûtant ! Quoi ! Un jeune qui écoute du Bach ? Ce n'était pas bien dur de citer les deux enregistrements les plus emblématiques de Bach. Quel est l’objectif de cet étalage hormis tenter de nous impressionner ?


J’en viens finalement au dernier point de mon argumentation et je vais donc parler d’immersion. Captain Fantastic ne m’a pas du tout transporté. Je ne suis pas senti émotionnellement investi dans tous ces personnages et cela tient principalement au fait que le film est tourné comme un clip MTV. Il suffit pour s’en rendre compte de repasser le montage d’introduction, on se croirait dans une pub Ariel pour laver vos vêtements sales. Et parmi les scènes charnières qui sont censées vous prendre aux tripes, il n’y a pas de tension. Lorsqu’ils font de la musique au coin du feu, le réalisateur devrait se dire : je pose ma caméra et je laisse la scène se dérouler sans couper. A ce moment là, il y aurait quelque chose de vrai et de beau. Dans le film, ça n’arrête pas de couper d’un gros plan à un gros plan ; lorsqu’on leur annonce la mort de leur mère : gros plan sur gros plan ; lorsque Captain Fantastic leur offre des couteaux de guerre, ça coupe trois fois par seconde ; lorsqu'ils incinèrent leur mère et que l’une des filles chante, c’est pareil. Bref, vous m’avez compris.


On se retrouve donc finalement devant un film moyen qui reste plaisant, et qui parvient à suggérer une once de pertinence lorsqu’il vient nuancer son propos militant dont j’ai souligné une certaine incohérence. Viggo est bon, mais est-il seulement en train de jouer ? Certains contrastes sont également saisissants quand les deux mondes se rencontrent. Mais où est la flamme, où se trouve cette passion le reste du temps, celles qui manquent au film pour vraiment se réaliser entièrement ?

Quentin_Pilette
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Surcôté

Créée

le 23 oct. 2016

Critique lue 1.2K fois

13 j'aime

3 commentaires

Quentin Pilette

Écrit par

Critique lue 1.2K fois

13
3

D'autres avis sur Captain Fantastic

Captain Fantastic
Fiuza
5

Viggo e(s)t Bo

Le réalisateur du film a t-il vu Vie Sauvage de Cedric Kahn ? En tous les cas il le devrait peut-être car, si ce dernier n'est pas un chef d'œuvre, il a le mérite d'être brutalement descriptif et...

le 13 oct. 2016

146 j'aime

9

Captain Fantastic
Vincent-Ruozzi
7

The Goodfather

Ben vit avec ses six enfants au fin fond d’une forêt luxuriante du Nord-Ouest des États-Unis. Leur journée est rythmée par des entraînements physiques intensifs et de longues lectures sur des sujets...

le 23 oct. 2016

125 j'aime

6

Captain Fantastic
Velvetman
7

Culture Freaks

Aussi difficile que cela puisse paraître, Matt Ross arrive parfaitement à se sortir du piège idéologique que pouvait lui imposer un film tel que Captain Fantastic. Le film, d’ailleurs, fait l’effet...

le 14 oct. 2016

125 j'aime

3

Du même critique

Westworld
Quentin_Pilette
4

L'imposture Westworld

La diffusion de la deuxième saison de Westworld vient de s’achever il y a quelques semaines et je dois avouer que ce visionnage s’est révélé pour moi une expérience éreintante que je vais tenter...

le 14 juil. 2018

57 j'aime

17

Babylon
Quentin_Pilette
5

Citer n'est pas jouer !

Après une incursion sur Netflix pour une série disons-le franchement ennuyeuse ("The Eddy"), Damien Chazelle revient sur le grand écran pour évoquer son deuxième sujet favori après la musique :...

le 30 janv. 2023

50 j'aime

7

Maigret
Quentin_Pilette
7

4.9 ! Qu'est-ce que putain de quoi ?

Tout d'abord je tiens à prévenir tout lecteur que les notes attribuées étant injustes, je serais brièvement odieux, et que les critiques négatives étant ineptes, je serais méchant. Bien évidemment,...

le 25 août 2015

28 j'aime

13