« Captain Fantastic », de Matt Ross – scénariste, réalisateur et acteur américain – met en scène Ben, joué par le brillant Viggo Mortensen (que l’on a pu voir notamment dans le rôle d’Aragorn, roi de la trilogie du « Seigneur des anneaux ») dans le rôle d’un père d’une famille nombreuse et déjantée vivant dans une forêt du Nord-Ouest des Etats-Unis, à mi-chemin entre la philosophie hippie et le survivalisme.


Et pour cause, isolés dans les bois, Ben, sa femme Leslie et leurs six enfants se partagent une yourte conviviale et cultivent eux-mêmes les fruits, légumes et plantes dont ils ont besoin. Ils pratiquent également la chasse, et ce, dès le plus jeune âge, se laissant tout de même entre toutes ces activités, le temps de s’entraîner quasi-militairement aux techniques de combat et d’auto-défense.


On comprend bien vite que le choix de ce mode de vie à l’arrivée de leur premier enfant est avant tout issu d’un besoin vital d’indépendance et de recul vis-à-vis de la société moderne et profondément néolibérale des États-Unis. Ainsi, après le sport et la chasse, l’activité principale de tous les membres de cette famille est la lecture de romans et d’essais politiques. Les programmes sont stricts et chaque soir devant le feu, tous sont invités à lire un ou plusieurs chapitres, puis à partager aux autres une critique analytique de l’œuvre.


Le choix de cette vie au fond des bois est à double sens : d’une part, la recherche de l’indépendance matérielle et énergétique et, d’autre part, la recherche d’une liberté morale, philosophique et presque spirituelle à contre-courant du mode de vie matérialiste et libéral à la racine des sociétés occidentales.


Avec comme maîtres à penser Marx, Trostky et autres figures du communisme aujourd’hui perçues par le plus grand nombre comme folkloriques, cette famille originale assume son utopie : ne répondre qu’à ses besoins primaires pour évoluer spirituellement et transformer la société.


À ce stade, de grandes questions sont posées : peut-on se permettre aujourd’hui de mener une vie en marge de la société ? Est-ce un choix lâche ou courageux ? En quoi l’environnement actuel, et la révolution numérique en particulier, détermineront-t-ils l’éducation des générations futures ? Le retour à la terre est-il une lubie ou un véritable progrès ?


Après le suicide de Leslie, atteinte depuis longtemps de trouble bipolaire, Ben et les enfants sont contraints d’embarquer dans leur maison-bus, « Steve », pour traverser les États-Unis et se rendre à l’enterrement, au Nouveau-Mexique. Pour la suite, tout le film s’articule autour de la mission « Sauver maman », c’est-à-dire empêcher l’enterrement voulu par les parents de Leslie, puis incinérer le corps de leur mère et le jeter dans les toilettes, selon son testament aux influences bouddhistes.


L’histoire se résume en une multitude de rebondissements et de situations pour le moins cocasses, du fait que toute la famille habituée à vivre à sa manière se retrouve télescopée dans la société moderne. Aussi, on pourra assister à une demande en mariage quasi-shakespearienne déclamée par Bo, le fils aîné, à l’attention d’une jeune fille qu’il a rencontré le soir-même dans un camping et qui a selon lui « changé sa vie ». Elle ne lui offrira en retour qu’un rire gêné et un claquement de talon pour rentrer dans son camping-car. C’est d’ailleurs là l’un des moments les plus drôles du film, car il se complait du reste dans un genre mélodramatique, assez touchant mais qui occulte un peu le questionnement initial.


En effet, nous sommes baladés entre des moments de joie, d’espoir et de complicité au sein de cette famille, et des moments de profond désespoir où les larmes coulent à flot. Cela fait du film une comédie dramatique agréable et très audacieuse, reprenant le format du road trip dans la lignée de « Little Miss Sunshine » (Johnatan Dayton, 2006) mais ne lui donnant pas le statut d’une œuvre philosophique et politique, comme le laissait espérer la situation initiale.


On peut tout de même noter une recherche intéressante dans la façon de traiter certains thèmes, comme l’éducation des enfants par exemple. Ben a appris à ces enfants à lire de tout, beaucoup, et à aiguiser leur esprit critique. Privilégiant le dialogue et la confiance, ils ont ainsi créé un microcosme où toute chose peut être dite, toute question a le droit d’être posée et peut trouver une réponse. C’est ainsi qu’il explique à son fils de 4 ou 5 ans, les grandes lignes de la sexualité et des spécificités hommes/femmes. Ce même fils qui sera capable de réciter et d’expliquer les amendements de la Constitution des États-Unis devant ses cousins médusés qui, à 15 et 17 ans, sont à peine capables d’en réciter trois mots, passant plus de 10h par jour devant les jeux vidéo. Une véritable leçon d’éducation.


Mais la médaille a toujours deux faces, et les relations entre ce père et ses enfants sont plus complexes qu’il n’y paraît. Suite à la mort de leur mère, les enfants ressentent rage et culpabilité et sont pris au piège entre l’amour de la figure paternelle forte et aimante et l’envie de « tuer le père » pour trouver des réponses et un coupable à leur peine. Ils sont même tentés de remettre en cause toute l’éducation qui leur a été donnée, et qui les a transformés en « bête de foire » tout juste bons à amuser la galerie, les rendant inadaptés face à la société et à ses codes. C’est à force de patience et de lâcher-prise que Ben réussira à retrouver ses enfants, pour reconstruire la vie d’après, dans une maison cette fois, de façon moins radicale mais tout aussi émancipatrice.


D’un point de vue formel, cette production est très réussie puisqu’elle nous entraîne dans une aventure émotive et sensorielle. Mêlant les plans de paysages lumineux, les jeux de regards – souvent en gros plan – qui mettent en valeur les relations presque fusionnelles du clan familial, ou encore les moments de respiration, qui invitent le spectateur à prendre du recul sur l’histoire, et à divaguer sur des réflexions plus approfondies.


Pour le fond enfin, on peut dire que Captain Fantastic est une histoire pleine de promesses mais qui n’a pas réussi à tenir tous ses objectifs. Se voulant comme une triple quête, celle personnelle du père, tout d’abord, qui cherche une façon de mener sa barque et de respecter ses valeurs tout en prenant soin de ses enfants ; celle de la famille ensuite, qui contre vents et marées défend son mode de vie même suite à la mort de leur mère ; et celle plus politique et philosophique, enfin, la recherche d’une autre voie que celle que la société nous offre. Cette recherche de l’abandon de l’état civil pour retrouver l’état de nature, le propre de l’homme, comme l’exprimait Rousseau, nous l’avons tous au fond de nous.


Pour les altermondialistes en herbe et les autres, Captain Fantastic (Prix de la mise en scène dans la catégorie Un autre regard au Festival de Cannes 2016, Prix du jury et du public au Festival du Film américain de Deauville 2016) est un film à voir car il invite à la réflexion et même s’il ne donne pas toutes les réponses, nous offre quelques clés. Il nous rappelle l’importance de lire, d’être curieux, pour comprendre notre environnement et pour nous questionner sur le monde contemporain et sur ses limites.

Elise_Adde
7
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le 20 nov. 2018

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