Carmen revient au pays, l’hymne filmé de l’art dans toute sa pluralité

Avec une pointe de sarcasme, on peut aisément avancer que Lili Carmen est un protagoniste aux antipodes de celui de Maria, que nous retrouvions dans la très fameuse Comédie du bonheur. Une Strip-teaseuse burlesque de Tokyo est en effet difficilement assimilable à une religieuse autrichienne mesurée… Pour autant, la comparaison est inévitable en constatant ces pâturages verdoyants,  ces paysages bucoliques, ces envolées champêtres rythmées par des chants enjoués et gaillards. 


Si la comédie musicale a tendance à se confondre historiquement avec Hollywood, ce film offert par Keisuke Kinoshita durant l’année 1951 s’avère appartenir au genre, et il s’agit de surcroit du premier film japonais réalisé en couleurs. L’appellation de Carmen, éponyme du film, prouve bien cette appartenance: Carmen n’est pas sans allusions au célèbre opéra comique de Georges Bizet, et nous rappelons que la comédie musicale est descendante, entre autre,  de l’opéra et du ballet. D’emblée, Kinoshita exprime ainsi son désir d’éclosion d’une oeuvre capable de rendre hommage à l’art aux travers de l’intitulation de son long métrage. Cela dit, l’intégralité du film témoigne aussi ce désir, et Carmen revient au pays peut-être perçu comme étant une véritable louage des arts.


Le film s’ouvre sur un plan d’ensemble, rythmé par un travelling qui laisse observer un paysage bucolique aux couleurs éclatantes. Ce plan initial (tout comme le reste des plans paysagesques du film) fait échos au paysage classique que nous retrouvions en peinture, où se trouvait représentée une nature idéale, grandiose, domptée par l’Homme. La représentation n’est pas crédible, mais recomposée pour sublimer la nature et la rendre parfaite, au point de l’idéaliser. Il y a une explosion de couleurs qui est étroitement liée au rattachement dans les années 40-50 de la couleur à l’apparence, au clinquant… contrairement au noir et blanc qui, quant à lui, était davantage relié à la substance. Les réalisateurs se méfiaient donc de la couleur, mais ici Kinoshita parvient à faire usage de cette substance associée encore aux valeurs spectaculaires. Il rend hommage à la peinture classique, plante le décors d’un univers pittoresque.


L’hommage est aussi rendu à la forme musicale, et au delà des chants élogieux des enfants et de Haro à propos de leur pays natal, ou encore de ceux de Lili Carmen pro-occidentalisation/ américanisation, nous découvrons un véritable amour de Kinoshita pour la musique. Après l’humiliation de Maya lors de la manifestation sportive du village, les deux danseuses se retrouvent en pleine nature, face à ce paysage pictural. Une musique extradiégétique est insérée au montage, et pas des moindres: Ellens dritter Gesang, plus connu sous le nom de Ave Maria, de Franz Schubert. Ce choix de la part du réalisateur n’est pas anodin, il s’agit effectivement d’une adaptation d’une poésie de Walter Scott, nous pouvons donc y percevoir de la part du réalisateur un désir de rendre hommage à la littérature. Ajoutons à cela qu’une cinéphonie de ce même chant était parue en 1936 grâce à Emile Vuillermoz. La cinéphonie étant l’ancêtre du clip musical, elle fait échos à la comédie musicale qui prône une alchimie entre la musique et l’image.


Mais cette comédie satirique ne traite pas uniquement de l’art en soi: il aborde le cas des artistes, et distingue les artistes de la ville, libres de toute attache (représentés par Lili Carmen et son amie Maya, danseuses de cabaret et strip-teaseuses) aux artistes du village, solidement ancrés dans le terroir et la tradition (représentés par Haro, l’harmoniumiste aveugle). Une dichotomie certaine se forme entre Carmen qui vit son art pour être vue, et Haro qui reste un artiste enfermé dans un monde immuable et inéchangeable. Pourtant, si le film soulève cette dichotomie, il oeuvre pour une certaine réconciliation où chaque artiste, au delà des préjugés, a besoin de l’autre pour être ce qu’il est.

Marinate
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le 22 nov. 2015

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