Carnet de notes sur vêtements et villes est assurément un film pour les complétistes de Wenders. À l’origine une commande du centre Georges Pompidou pour illustrer le monde la mode auquel le cinéaste ne connaît rien, le documentaire a en apparence tout de de l’objet filmique prétentieux et abscons. Mais voilà, le titre annonce de côté parfaitement la couleur : il s’agit avant tout d’un « carnets de notes », autrement dit d’un brouillon, d’une esquisse sans plan préétabli, d’un essai. Un terrain réflexif et expérimental dans lequel Wenders va essayer de comprendre la mode à travers un maître, Yohji Yamamoto – arrivant alors à la fin d’une décennie qui l’a vu éclore sur la scène internationale –, mais aussi réfléchir sur l’évolution de son art dans son passage de l’image argentique à l’image numérique, de la praticité d’un caméscope par rapport à une caméra 30mm, de son adéquation pour filmer des gens de manière discrète ou pour filmer une ville comme Tokyo, etc. Et au milieu de tout cela, Wenders filme donc Yamamoto en plein travail, l’interviewe en jouant au billard, se questionne tout en donnant à voir des séquences baveuses prises en caméscope de paysages tokyoïtes, le tout avec une musique qu’il faut bien qualifier « de merde », surtout lorsque l’on a en tête la B.O. de Ry Cooder pour Paris, Texas.

Ça donne envie, hein ?

Eh bien malgré tout cela, et malgré le relatif ennui que m’ont procuré les 80 minutes de ce documentaire, difficile de lui nier une intelligence et une originalité certaines. On trouvera peut-être cette dernière datée, mais d’un autre côté, qu’est-ce qui permettrait de dire que celle d’un Chris Marker serait plus moderne, plus profonde, plus atemporelle ? Le format choisi est tellement débraillé (cocasse pour un documentaire sur la mode telle que la conçoit un Yamamoto), tellement cousu de fils de provenance variée qu’une curiosité teintée de plaisir, pour peu que l’on ne soit pas totalement hermétique à l’art moderne tel qu’il peut être montré à Beaubourg, peut finir par poindre.

Pour ma part, j’ai finalement apprécié de voir un maître en action, tout simplement. Ignare pour tout ce qui concerne le domaine de la mode, voir Yamamoto scruter ses modèles, procéder encore et encore à des retouches ou encore parler de son art avec ce faciès de sage fatigué mais confiant, a plutôt été source d’intérêt, à défaut de profonde fascination. Il manquait peut-être ici une capacité à rendre compte de l’aspect tactile du métier, aspect que le format d’image choisi ne permettait pas de bien saisir. D’ailleurs, pour ce qui est des remarques de Wenders sur « l’image électronique » ou sur les bienfaits des images filmées avec un caméscope, il faut avouer qu’elles sont parfois dures à admettre pour le spectateur de 2024 pour qui ces images sont simplement atroces à regarder. Après, Wenders ne manque pas d’intuition quand il se demande si plus tard l’image électronique aura tellement d’importance que ce seront les concepteurs de jeux vidéo qui seront les nouveaux créateurs d’image. Mais il y a encore un peu de marge, si l’industrie du jeu vidéo écrase celle du cinéma, trente-quatre ans après Carnet de notes sur vêtements et villes, il y a encore un Wim Wenders pour réaliser un Perfect Days, fiction qui est bien du niveau de Paris, Texas. Exit cependant le 35mm, place à la rolls des caméras numériques, la Sony Venice. Autre temps, autre alchimie cinématographique, mais finalement, toujours, même capacité, au milieu de l’aspect fourre-tout de sa filmographie, à créer une fiction universelle. Pas mal pour un réalisateur de 78 ans. Et alors que Yamamoto a atteint les quatre-vingt, on se dit qu’il pourrait être intéressant, à un époque où l’on croule sous les suites, d’avoir un malicieux Carnet de notes sur vêtements et villes II.




Créée

le 6 avr. 2024

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