"Le scandale du monde est ce qui fait l'offense, et ce n'est pas pécher que pécher en silence"
Le Tartuffe, Molière.


Après s'être fait l'écho des souffrances de tout un peuple, après avoir puisé dans le néoréalisme les forces vives nécessaires à son renouveau, le cinéma italien aborde les années 60 avec l’irrépressible envie d'en découdre et fait feu de tout bois : l'ironie sera son arme favorite, la satire sociale son terrain de prédilection, et les nantis ses principales victimes. Porté par cette mouvance, Pietro Germi fait de l'irrévérence son créneau et offre à la comédie de mœurs quelques-uns de ses plus beaux fleurons : Divorce à l'italienne, Séduite et abandonnée et bien sûr Signore & Signori.


Aguerri au registre dramatique, il aborde le genre comique sans renier son approche de l'humain. Et c'est sans doute là où se situe la grande force de son cinéma, son intemporalité également ! Si sa démarche première est bien de fustiger les travers de cette élite qui surfe alors sur le boom économique (bourgeois, parvenus), il n'en oublie pas l'Homme pour autant. Il remet la farce au goût du jour, tournant en ridicule les postures sociales, faisant tomber les étiquettes et les masques de vertu, pour mettre à nu ce qui reste éternellement risible : la désespérante humanité !


Pour ce faire, il reprend les codes hérités du théâtre, compose un drame en trois actes, avec un lieu unique et non spécifié, et des personnages aux traits forcés qui, tour à tour, occuperont le devant de la scène, exhibant à chaque fois les mêmes vices, la même malice, le même masque de l'hypocrisie. Car ici tout le monde est coupable, misérable, pitoyable, il n'y en a pas un pour racheter l'autre, bien au contraire. Que ce soit l'homme ou la femme, le jeune ou le vieux, ce sont tous des menteurs, des hypocrites, dont la principale préoccupation est de ne pas se faire prendre. Un personnage résume la situation ainsi, avec une formule faisant écho au Tartuffe de Molière : « Mieux vaut mentir que perdre la face ».


Contrairement à ses succès précédents, Germi ne dispose d'aucune tête d'affiche. La bonne idée sera ainsi de faire partager le rôle principal à ses différents personnages, soulignant avec malice la dimension universelle de l'hypocrisie. Ainsi, au fil des sketches, on découvre un médecin qui croit au serment d'hypocrite, un coureur de jupons déguisé en impuissant, un serviteur de dieu pas très catholique ou encore des notables dont les grands principes s'envolent au premier jupon croisé... Même si le film se perd parfois en bavardage, le spectacle des bassesses humaines demeure des plus délectables. C'est avec une douce cruauté que Germi manipule ses personnages, tirant les ficelles de l'absurde avant de les perdre dans une valse cynique et grotesque. Exclusivement motivés par l'argent et le sexe, ces "gens bien" oublient vite leurs beaux principes pour se vautrer avec entrain dans la médiocrité.


Le jeu de massacre, mis en place, est d'autant plus jubilatoire que Germi ne se prive pas pour théâtraliser les comportements, rappelant constamment les fondamentaux de la farce à l'italienne : on crie, on gesticule, on s'écharpe et on rappelle combien ce culte de l'apparat est fort peu sérieux... D'ailleurs, rien ne semble véritablement sérieux ici-bas, et surtout pas cette société qui est ainsi représentée : l'Eglise ment, la presse ferme les yeux, tout comme la justice. L'hypocrisie est partout, Germi a vu juste. Et comme l'hypocrisie a encore de beaux jours devant elle, Signore & Signori n'est pas prêt d'être démodé.

Procol-Harum
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le 14 mars 2022

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