Pour son premier film, Cessez-le-feu, Emmanuel Courcol plonge le spectateur dans les traumatismes d’une famille après la guerre de 1914-1918.


CESSEZ-LE-FEU est le premier long-métrage très réussi du réalisateur scénariste Emmanuel Courcol, jusqu’alors connu pour son travail de scénariste (Welcome, Boomerang). Rencontré pendant le Festival International du Film d’Histoire, il expliquait s’être emparé de son histoire familiale qui lui tenait très à cœur, et avoir souhaité rendre hommage à « ces hommes marqués à vie, qui ont parfois eu le sentiment d’être sacrifiés, non reconnus, et dont les vies se répercutent telles des ondes de choc sur les générations suivantes».


La première scène de CESSEZ-LE-FEU, dans les tranchées de la guerre de 1914-1918, happe littéralement le spectateur et le laisse pantelant physiquement et émotionnellement. D’une violence et d’un réalisme incroyables, cette scène fascinante pose la première pierre du devenir du héros Georges (Romain Duris) et embarque sans prévenir dans son aventure, ses peurs, son rapport à la mort et sa fausse nonchalance face à la vie. La mise en scène de CESSEZ-LE-FEU est assez grandiloquente, mais elle sert habilement le propos du réalisateur, dont la principale source d’inspiration est Voyage au bout de l’enfer.


A l’heure où la France commémore les 250000 morts de la bataille du Chemin des Dames de 1917, CESSEZ-LE-FEU rend un bel hommage aux soldats morts pour la France, mais aussi aux survivants. A travers le parcours de trois frères, le film interroge avec une force indéniable la façon dont les familles ont été confrontées à ce glaçant après-guerre. Jean, le frère de Georges, est mort, mais son souvenir est encore bien lourd à porter et le deuil impossible à faire en l’absence de corps. D’autres soldats sont rentrés invalides ou mutilés – telles les fameuses « gueules cassées », que François Dupeyron avait magnifiquement évoquées dans La Chambre des Officiers.


CESSEZ-LE-FEU ravive une époque où le temps n’était pas à l’épanchement, ni à la tristesse ou au partage d’un vécu douloureux. Il montre des hommes pourtant valides mais profondément bouleversés. Ils se reconstruisent après avoir côtoyé l’horreur, sans l’aide psychologique post-traumatique proposée de nos jours. Leurs blessures psychiques sont invisibles mais ils doivent vivre avec leurs cauchemars, le souvenir des compagnons morts au combat, la grande faucheuse qui frappe brutalement, et qui fait qu’en un quart de seconde, on se retourne et on voit le corps de ses camarades disparaître dans les explosions. Les flash forwards présents dans le film renforcent, selon le réalisateur, « cette idée du stress post traumatique ».


L’effroi de Marcel (Grégory Gadebois), l’autre frère survivant de Georges, lui a fait perdre la parole. Il apprend la langue des signes avec Hélène (Céline Sallette), jeune femme moderne et joyeuse. Il réapprend la vie en s’attachant à la jeune veuve Madeleine (Julie-Marie Parmentier). Car CESSEZ-LE-FEU évoque aussi les femmes courageuses, mères et épouses, restées à attendre les soldats partis au front. Quant à Georges, il a préféré fuir en Haute-Volta et s’est construit une autre vie après l’enfer, en compagnie de son camarade africain Diofo (Wabinlé Nabié). Le réalisateur a voulu montrer “une autre manière de vivre le traumatisme puisque Diofo, si fier d’avoir combattu pour la France, raconte sa guerre dans un spectacle qui valorise les exploits de son capitaine”. Georges a mis à bonne distance l’Europe et son passé, et s’est ouvert à un autre univers et à d’autres traditions, à la terre, à la lumière et au soleil d’Afrique. La vision esthétique de Georges menant tranquillement sa pirogue sur l’eau au cœur de la moiteur de l’Afrique fait d’ailleurs penser, à bien des égards, à Les Caprices d’un fleuve de Bernard Giraudeau.


Des événements violents ramènent Georges en France en 1923 et le confrontent à ses souvenirs. Mais aussi à son incapacité à comprendre ce que traverse Marcel et ses propres questionnements, qu’il avait évités jusqu’alors. En effet, comment parler de l’indicible ? Comment partager cette peur qui, encore longtemps après, taraude, étreint et étouffe ? Comment vivre avec la responsabilité de n’être pas rentré avec Jean et comment assumer les reproches de leur mère ? Comment retrouver la force de vivre ? L’amour est l’une des solutions pour réparer les âmes et les cœurs meurtris, proposées par Emmanuel Courcol qui « croit au pouvoir de l’amour ». Mais le partage des bagages chargés de souffrances de Georges et Hélène n’est pas la condition suffisante pour atteindre le bonheur et le réalisateur a eu la bonne idée de ne pas choisir la facilité.


Emmanuel Courcol a écrit leurs personnages spécialement pour Céline Sallette, Grégory Gadebois et Marie-Julie Parmentier, mais il n’avait pas initialement pensé à Romain Duris. Il a bien fait de lui offrir ce magnifique rôle, qui lui permet d’exprimer quelque chose de plus profond et d’intense que d’habitude, dont le sourire goguenard est absent. Et même s’il est un peu difficile de croire en la fratrie avec Grégory Gadebois, tant les acteurs se ressemblent peu, plusieurs scènes les réunissant sont particulièrement émouvantes. Pour un premier film, CESSEZ-LE-FEU est un coup de maître bouleversant de vérité, d’émotion et d’humanité. Il transporte le spectateur dans cette époque de non-dits, de blessures et de reconstruction, et parvient à susciter énormément d’empathie envers tous les personnages.


Par Sylvie-Noëlle pour Le Blog du Cinéma

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le 22 avr. 2017

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