Ceux qui travaillent est un film dramatique franco-belgo-suisse réalisé par Antoine Russbach, ayant pour protagoniste l’acteur belge Olivier Gourmet qui, avec parcimonie et souvent pour le plus grand plaisir des amateurs de films proches du réel, continue à traîner sa calvitie sur les plateaux ciné depuis plus de 20 ans. Le comédien belge a décidé pour ce film d’incarner Frank Blanchet qui, après avoir pris une décision sauvant le chiffre d’affaires mais mettant en danger la réputation de son entreprise, va se voir débarqué par sa direction manu militari. Cet événement va être vécu comme un séisme par le cadre supérieur, il n’a jamais connu la vie sans travail confiera-t-il à une RH chargée de faire son bilan de compétences, et entraîner une douloureuse et profonde remise en question. En effet, si son entreprise le laisse tomber après 20 ans de travail acharné et si sa famille le voit comme un étranger sans être consciente des efforts auxquels il a consentis, pourquoi et pour qui tous ces sacrifices ?
Ce film dresse donc un portrait d’un homme aux motivations banales, « travailler plus pour gagner plus » comme le dit Frank dans l’une des premières scènes du film, qui prend une mauvaise décision pour une raison banale, « sauver le chiffre d’affaires trimestriel », et dont les conséquences sont également banales : perte de repères, comportement auto destructeur, éloignement familial. Cette banalité de l’enchaînement des événements est mise délibérément en valeur par les choix du réalisateur comme le soulignent l’absence de bande originale tout au long du film, les couleurs fades, des scènes au rythme très lent ou des silences de 10 secondes voire plus dans certains dialogues. Ce parti pris est audacieux et même s’il peut être inconfortable à certains moments dans le film, il est maîtrisé et retranscrit parfaitement l’aspect indolore et inodore, en surface du moins, de cette dégringolade pour Frank. D’ailleurs, lui qui se décrit comme « non communicatif » et « non sensible » lors d’un bilan de compétences est interprété tout en retenue par un Olivier Gourmet à l’aise dans ce rôle de père de famille taiseux, fils de paysans et gardant ses émotions au plus profond de lui-même, malgré les conséquences délétères sur ses relations avec 4 de ses 5 enfants. C’est donc un personnage crédible car il renvoye à une image connue dans l’inconscient collectif : l’autorité paternelle aliénée par son travail et qui se transforme pour ses enfants en statue du Commandeur. Cependant, même si le film tourne autour de la chute de Frank et des conséquences, ce n’est pas là que se situe le propos du film, le protagoniste n’est que la partie émergée de l’iceberg.
Oui, la véritable ambition d’Antoine Russbach dans ce film est de pousser le spectateur à se questionner sur ce qui explique l’existence de personnes comme Frank. Quelle responsabilité en tant que consommateur effréné, agent anonyme d’un capitalisme débridé, dans les sacrifices que font tous les Frank du monde ? Le renversement de responsabilité est intéressant et prometteur mais si la thèse du film est engagée, le film ne l’est pas. Ou pas assez. C’est en effet là que se situent les limites de l’interprétation d’Olivier Gourmet dans ce film. Sa retenue et son manque d’émotions desservent un message qui aurait dû être beaucoup plus rageur. Trois mois sans travail pour quelqu’un qui n’a jamais été au chômage, qui vient de se faire trahir par l’entreprise à laquelle il a tout donné et dont les enfants se comportent en pourris gâtés, devraient logiquement aboutir à autre chose que passer la journée en jogging et regarder un match de football ! Antoine Russbach n’est pas allé au bout des choses dans sa dénonciation du capitalisme contemporain, sa critique manque de saveur, elle manque de sueur.


Le résultat en bout de chaîne (logistique!) aboutit à un film terne, dont on sort au pire consterné par le manque d’imagination et de consistance du réalisateur, au mieux admiratif du courage de ses choix.
A éviter si vous réfléchissez déjà avant d'acheter.

Stanos
5
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le 29 oct. 2019

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Stanos

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