♫ Et moi pendant c'temps là, j'tournais la manivelle ♬

Dans un Empire austro-hongrois vivant sans le savoir et en toute insouciance ses derniers instants, Franz, comte à la cour impériale, est contraint par François-Joseph d'épouser la fille du ministre de la Guerre. Lors d'une sortie incognito avec des amis, il croise Agnes, la fille d'un marionnettiste de fête foraine, elle-même chargée de s'occuper de la musique d'un manège en tournant sans cesse une manivelle. C'est le coup de foudre réciproque. Mais Franz ne révèle pas sa véritable identité et fait croire à la jeune fille qu'il est vendeur de cravates...


Bon, une histoire classique de roturière, aux allures de Cendrillon (sauf que la belle-mère est le sadique qui l'emploie !), croisant la route du Prince charmant. Sauf qu'avec Erich von Stroheim, ce n'est jamais aussi simple, car il adore pervertir tout. Oui, mais voilà, ce qui n'était jamais simple aussi avec ce réalisateur incroyablement talentueux, d'une personnalité très forte, qui ne reculait devant rien pour assouvir son perfectionnisme, c'étaient ses tournages.


Ce qui fait que son caractère peu conciliant a eu pour conséquence qu'un des pontes d'Universal Pictures (qui a donc produit ce film !), Irving Thalberg, l'a viré alors que le film était loin d'être complet pour le remplacer derrière la caméra par le nettement plus conciliant, plus impersonnel et yes-man Rupert Julian. D'après Julian et Thalberg, un quart du film aurait été tourné par von Stroheim, d'après ce dernier, il s'agirait du tiers. Toujours est-il que la plupart des séquences déjà filmées seront, hélas, retournées et qu'il ne restera que dix minutes de vrai Erich von Stroheim en tout et pour tout (il ne sera même pas crédité au générique en tant que réalisateur !).


Quoi qu'il en soit, ce film souffre de ne pas avoir été réalisé entièrement (quasi-pas du tout !) par von Stroheim. Il y a des moments qui ne peuvent que venir de lui, c'est certain. L'intro nous montre une imagerie idyllique de l'Empire austro-hongrois sous François-Joseph, avec son luxe raffiné qui fait rêver, ses valses et au milieu de tout ça, une mère se jette d'un pont sous les yeux de son enfant. Il y a que von Stroheim pour nous sortir un truc aussi tordu. L'orgie où une jeune femme, que l'on devine pas du tout habillée, est dans une grande coupe que les convives éméchés remplissent de champagne, ce goût de la décadence sous les ors impériaux, c'est du von Stroheim pur et dur. Pareil pour le moment où le comte emmène la jeune foraine dans une sorte de garçonnière, personne d'autre n'aurait pu l'inventer (le pire, c'est qu'il a tellement une patte personnelle, bien à lui, que je vous jure que j'ai identifié par moi-même les dix minutes épargnées et que la lecture des anecdotes sur IMDB n'a fait que confirmer que j'avais tout bon !).


L'histoire révèle aussi la personnalité du Monsieur. Ce qui est normal puisque c'est lui qui l'a écrite. Par exemple, la jeune protagoniste innocente se fait poursuivre par son psychopathe de patron, qui veut la violer, dans un manège, avant de la fouetter ; cela ne peut qu'être sorti de l'esprit tordu de son créateur (même si chez lui, le Diable se trouvait surtout dans les détails, il faisait la différence particulièrement avec ces derniers !) .


Mais le tout (enfin, sauf ce qui revient directement à la caméra de von Stroheim !) est globalement filmé sans inspiration par Julian, d'une manière lisse, sans écart. Avec sa tendance au fétichisme cruel, je n'ose même pas penser à ce que le metteur en scène de Foolish Wives aurait fait avec le chef tyrannique, qui n'apparaît que comme une caricature de méchant de mélo sans rien de spécial, de comment il aurait filmé l'orang-outan qui n'est pas bien mis en valeur ici.


Le scénario, dans les grandes lignes, est un drame romantique conventionnel (von Stroheim ne se lâchait pas réellement lors de cette étape, sûrement pour que le script soit plus facilement accepté par la production, pour pouvoir faire ensuite tout ce qui lui chantait lors du tournage !), mais le génie de l'Autrichien d'origine l'aurait certainement transcendé. Julian, dans sa médiocrité, ne donne rien d'autre qu'un drame romantique conventionnel qui se voit sans déplaisir, mais qui ne parvient guère à être mémorable.


Heureusement que le tout peut s'appuyer sur une distribution charismatique. Elle avait été d'ailleurs choisie par les soins du cinéaste viré, si on excepte Norman Kerry (qui avait été engagé par Thalberg, mais ce choix est très bon, on peut mettre au moins ça au crédit du producteur !) qui réussit par elle-même à lui apporter du corps.


Bref, un film de von Stroheim est uniquement grand que quand ce n'est que du von Stroheim.

Plume231
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le 13 janv. 2021

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