CHEZ NOUS (14) (Lucas Belvaux, FRA/BEL, 2017, 118min) :


Une auscultation sociétale de la France d’aujourd’hui par le prisme d’une infirmière mère de deux enfants exerçant dans le Nord de la France entre Lens et Lille qui se voit recruter par un médecin pour devenir tête de liste au municipale du parti politique « Rassemblement national populaire ».
Le réalisateur belge Lucas Belvaux révélé en 2003 avec l’ambitieuse trilogie Un Couple épatant / Cavale / Après la vie déclinant des mêmes événements de façon comique, policière ou dramatique puis confirmé notamment avec l’excellent La raison du plus faible (2006), le puissant Rapt (2009), l’intrigant thriller 38 témoins revient avec une fiction à caractères politique. Aidé pour le scénario par le romancier Jérôme Leroy auteur du livre remarqué « Le Bloc » paru en 2001, le cinéaste tente un pari audacieux dans le paysage frileux du cinéma français envers ce genre peu exploité. Il tente de prendre à bras le corps un sujet brûlant en vue de la présidentielle de 2017 qui s’annonce particulièrement indécise et sous hautes tensions. Un défi cinématographique à saluer.


Dès la première séquence par un lent mouvement panoramique de caméra, le réalisateur nous présente la géographique et le passé des Hauts-de-France avec les anciens terrils du bassin minier, les rues avec les maisons en brique rouge et nous immerge directement dans cette région où le chômage se ressent peut être davantage. On découvre aussi une infirmière dévouée se rendant à domicile sans discrimination sociale ou autres pour apporter soins et écoutes à des patients souvent âgés ou dans des situations précaires. Lucas Belvaux implante son récit dans la commune fictive de Hénard (contraction de la ville d’Hénin-Beaumont dirigée par le Front national) où le personnage d’Agnès Dorgelle fait directement référence à la femme politique Marine Le Pen (conseillère régionale Hauts-de-France et députée européenne élue démocratiquement) présidente du Front National depuis le 16 janvier 2001.


Après une introduction en guise de présentation des différents protagonistes de l’histoire, le réalisateur nous plonge en immersion dans l’envers du décor et oriente son film vers une description objective du mécanisme complexe d’embrigadement de personnes intellectuellement honnêtes dans un processus populiste et de la tentative de respectabilité pour un parti aux idées extrémistes. Ce qui intéresse le réalisateur c’est de nous dépeindre en caricaturant le moins possible (car la réalité du terrain dépasse largement cette fiction pour ceux qui ferait ce mauvais procès au film, je les invite à plus de clairvoyance…) cette implantation locale et la diffusion dans les esprits d’idées simpliste nauséabondes sous couvert d’une protection de valeurs patriotiques et d’amour de la France.


Petit rappel pour ce qui est de la caricature les tweets abjects de certains dirigeants en réaction à la simple bande annonce du film sans l’avoir vu, comme celui de Gilbert Collard : « Émules de Goebbels, les productions du système produisent "Chez nous", à nos frais, film de propagande anti-FN : rideau ! » ou encore l’inélégant « Pauvre Marine Le Pen, qui est caricaturée par ce pot-à-tabac de Catherine Jacob. Un sacré navet en perspective » rédigé par le maire FN d’Hénin-Beaumont Steeve Briois.


Le réalisateur propose une mise en scène démonstrative (surlignant un peu trop le trait parfois) ne tombant pas dans l’erreur du film militant anti-FN mais dans un drame « engagé », Costa-Gavras ne cesse de déclamer que Tous les films sont politique, celui-ci pointe avec acuité sa caméra au cœur de la cité et aux racines du mal en nous montrant habilement les deux facettes d’un parti populiste. En suivant le parcours professionnel puis amoureux de cette jeune infirmière le réalisateur met en lumière la face sombre d’un parti qui se veut comme les autres mais dont des groupuscules fascistes ne sont jamais très loin du parti représenté par cette fiction.
En offrant quelques rebondissements scénaristiques parfois un peu faciles pour que la narration soit plus prenante avec une atmosphère de polar politique, la mise en scène toujours à bonne distance de l’action, permet de s’intéresser tout aussi bien aux « petites gens » tant convoité par le RNP du film qu’au fonctionnement hiérarchisé du parti. Il met en lumières tous les éléments de langage lissés en une nouvelle rhétorique sans les mots « bougnoule » ou « bamboula » pour ne plus effrayer et d’endoctrinements et de stratagèmes utilisés avec intelligence et cynisme pour récupérer des voix en vue d’une prise de pouvoir régionale puis nationale. Une plongée immersive au cœur d’une machine politique parfaitement huilé qui tend à tisser sa toile par tous les réseaux, sociaux ou sur le terrain, par un ratissage savamment orchestré. Par ce portrait familier car chacun d’entre nous peut s’identifier, notamment lors de repas dominical en famille, ou lors d’échanges vigoureux avec un père ou un proche sur ses convictions politiques.


La caméra de manière frontale mais non spectaculaire pointe du doigt les dérives et les dangers de ce parti extrémiste et dissèque sans juger le comportement électoral et l’engagement de certains électeurs aimables, juste désabusés par un soi-disant déclin de la France martelé à travers la presse écrite, journaux télévisés et radio par des personnages comme Eric Zemmour dont la voix résonne dans le film. Le cinéaste suit avec bienveillance cette infirmière apolitique dont on instrumentalise sa bonté et sa proximité avec « le peuple » en lui promettant des choses scintillantes, de faire bouger les choses en jouant sur les peurs, la désespérance et le repli identitaire. Sous couvert de normalité le constat fait froid dans le dos et les nombreux « On est chez nous » scandés dans le film lors de meeting résonnent avec la réalité de l’actualité récente.


Avec justesse ce film dresse le portrait d’une France déboussolée en 2017 où la musique souvent angoissante vient souligner les soupirs laissés dans l’allée avant que l’abîme s’invite dans l’isoloir. Ce bulletin cinématographique tient ses promesses par la pertinence du casting et les excellentes interprétations principales. Emilie Dequenne apporte avec nuances sa fraîcheur candide et sa prise de conscience, Catherine Jacob excelle dans l’incarnation de la cheffe de ce parti populiste qui tente de dédiaboliser, André Dusollier est impeccable d’immoralité en cadre du parti stratège costume cravate de notable et Guillaume Gouix confirme son talent en incarnant la xénophobie et la violence radicale de ces groupes patriotiques.


Cette photographie de la manipulation en longs plans où la lumière grisâtre parfois bleuté souligne l’inquiétude et s’avère assez pertinent de par son scénario assez documenté et l’ironie distillée pour rendre le long métrage moins anxiogène et plus convaincant. Alors malgré les invectives des nationalistes polémistes sur ce film venez profiter de cette œuvre qui a le mérite de poser des questions, de faire débat et d’exister. Car oui encore pour quelques temps la France de Paul Eluard est libre et nous pouvons encore nous exprimer et écrire son nom : LIBERTÉ.


Alors de chez vous, déplacez-vous pour vous rendre compte en salles, d’une autre manière, de l’obscure tapie dans l’ombre qui frappe à nos portes démocratiques, si nous ne faisons pas acte de vigilance de par Chez Nous. Engagé, intelligent et salutaire

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le 21 févr. 2017

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