Attention aux lecteurs avertis, j'utilise de nombreux éléments du récit. Je vous conseille d'avoir vu le film avant de lire cette critique !

Est-ce que parmi vous, vous vous souvenez de votre premier baiser ? Pas celui que vous avez fait avec votre être chère, mais plutôt celui que vous avez vu, celui qui vous avez rendu bête et naïf lors du temps quand nous avions l’âge de garder en mémoire un instant pour le reproduire dans notre tête qui servait de scène. A la manière des personnages, nous nous imaginons la personne, la mise en scène du moment avec son lieu, la rapidité ou la lenteur de la rencontre. Les films de notre enfance nous montraient la libération de notre torpeur par le biais d’une lèvre contre l’autre, l’impact entre l’attente et le rapprochement final, ou bien même juste l’émerveillement ou le fantasme du moment qui change la nature de notre rapport aux personnages. Le baiser recouvre une part belle de l’imaginaire, me souvenant de mes émois avec les films de Marcel Carné, de Max Ophüls, de Visconti, de Fellini, de Chaplin d’Hitchcock ou d’autres. Tous ces réalisateurs réalisent les effets d’un baisée qui peuvent être le doute, la joie, l’émancipation, la surprise, ou même le manque. Cette multitude de sentiments et cette explosion de production filmique, me font revenir incontestablement vers Cinema Paradiso de Giuseppe Tornatore, ayant fait la meilleure définition de ce que procure le cinéma si ce n’est un baiser. Ce réalisateur nous conte ce que l’histoire du cinéma a toujours voulu nous montrer déjà dans l’intimité des salles à partir de sa création.

Ainsi, le long-métrage est une déclaration d'amour au cinéma au travers de son histoire qui nous raconte ce sentiment refoulé et qui doit nécessairement exploser au grand jour. Cet amour commence par le travail de détails des salles de cinéma, montrant l'aspect populaire et communautaire, nous faisant défiler les mêmes personnages comme s' ils étaient tout aussi importants que ce petit garçon. Ce petit garçon n'est plus le protagoniste, mais un spectateur comme un autre, et cela se remarque par l'accent mis sur les rencontres et les échanges qui nous instaurent une ambiance et aussi un quotidien. Chaque personnage possède un gimmick et un trait humoristique qui nous rendent empathique et une impression que nous sommes aussi des spectateurs dans cette salle par l’accentuation du regard. Mais également, Tornatore en profite pour dépeindre une situation sociale que ce soit de pauvreté, du manque d’éducation (notamment à l’aspect analphabète et que le cinéma va communiquer à tout le monde), du contexte historique, de la censure ou même des différentes classes sociales qui vont être présente sous une même rêverie soit le cinéma. Ainsi, le récit ne se concentre pas seulement sur le duo Toto et Alfredo, parce que leurs sens vont dépendre de ces individus qui côtoient les salles. L’intérêt est de montrer que la force du récit peut-être aussi celui du peuple, où à la manière des néo-réalistes ou de ce qu’ils précédents sous un style différent comme Tati ou Fellini, pour renforcer l’effet de réel ou de fantaisie, nous devons mettre l’accent sur des personnages qui ressemblent le plus aux spectateurs. Ce travail de détails va se répercuter sur la projection qui est la raison pour laquelle les spectateurs viennent, pour qu’on leur projette une fantaisie. Tornatore montre l’évolution technique et l’intensité du corps, des et du regard lors de l’utilisation de la bobine. De même, le cinéma n’est pas une description totalement joyeuse par le fait que beaucoup de malheur (Par le fait que la pellicule puisse créer des incendies), et de craintes (De la part d’Alfredo qui est conscient de la réalité sociale et des limites de son métier) qui cherchent à développer l’initiation de Toto pour faire face à la réalité et pour pouvoir garder en tête son objectif.

En effet, si nous suivons ce film, c’est aussi pour le développement du personnage de Toto interprété par trois acteurs différents, et celui joué par Philippe Noiret, deux personnages qui se complètent par le langage du cinéma qui va s’articuler sous des symboles. A commencer par ce lion, étant l’entrée vers le rêve de Toto, il représente à la fois la puissance et le roi, et en même temps une menace ou une tension forte qui pourrait être Alfredo dans ses premières minutes ou juste le regard d’un enfant lorsqu’il convoite la source de ses rêves, pouvant imaginer des choses qui ne sont pas comme le cri du lion. Également, ce plan doit aussi représenter Alfredo comme un phare pour Toto, puisque cela va prendre sens par la suite où malgré le fait qu’il devient aveugle, ce personnage garde son rôle premier, celui de mentor. Il est celui qui guide Toto dans ses connaissances et lui indique par cette lumière qui est la source du cinéma, le chemin à suivre. Tandis que Tornatore le rend infirme, Alfredo est conscient de lui-même et de ce que peut être Toto, lui donnant des conseils après que la personnalité et l'insouciance de Toto soient détruites suite à son échec amoureux et le service militaire qui l'a enfermé. De même, parmi tous les personnages qui ont subi l’épreuve du temps dans la partie adulte, Alfredo est le seul qui nous soit encore dépeint comme le mentor du début jusqu'à la fin. Il lui donne une dernière leçon même dans la mort, par cette multitude d’images par le biais de son montage, où à la différence des autres qui le vouvoient lors de l’enterrement alors qu’ils avaient l’habitude de l’appeler simplement Toto, nous pouvons être certains qu’avec ce montage, Alfredo le tutoie et lui rappelle son objectif et son amour pour le cinéma.

En abordant le temps, il est nécessaire de parler de l'introduction du film qui est sublime dans les détails anodins qui nous font entrer dans l'histoire principale. Que ce soit les carillons ou l'orage, l'introduction nous indique ces éléments qui vont à la fois hanter le protagoniste et le rendre aussi nostalgique (la nostalgie étant dans le film selon Alfredo un élément de malédiction qui enferme et empêche d'aller de l'avant). Les carillons vont évoquer les cloches du prêtre qui va être l'objet d'une partie de l'enfance de Toto et en même temps, il va être celui qui va enfermer sans le savoir la passion du cinéma par le biais du gag de répétition lié aux baisées coupées au montage. L'orage va évoquer la lumière, et le grondement sous la pluie ce qui inclut les nuits à attendre et la nuit où la passion de Toto après s'être senti comme Ulysse loin de sa femme, est répondu par son amour pour le personnage féminin. Des éléments se communiquent entre eux comme le faisceau de lumière dûe à un trou de plafond dans la salle de cinéma qui évoque le projecteur. Les effets de transition entre les parties sont extrêmement délicats par le biais où Alfredo transmet toute sa confiance et son héritage auprès de Toto. Toto reste le personnage où la fusion du temps en devient viscéral par cette peur de croire que la ville de son enfance ne va jamais changer, de perdre l'être aimé à tout jamais, ou juste d'avoir le sentiment de ne pas avoir avancé. Un petit mot dans cette partie sur la composition d'Ennio Morricone qui certes, je le conçois est la moins pertinente de toutes ses compositions par le fait qu'elle est la plus classique, mais cela ne signifie pas pour autant qu'elle est simpliste. Bien au contraire, Morricone nous instaure ses mélodies dans notre mémoire, foisonnant des milliers de sentiments et de souvenirs qui se manifestent. Ces compositions sont les mouvements de la vie, continuant son quotidien, ou encore elles sont le soulagement des passions des personnages. Certains gimmicks ou répétitions reviennent pour nous montrer le lien entre les personnages, la figure d'Alfredo toujours présente, le thème de l'amour, le cinéma ou juste le temps parcouru qui revient au galop pour nous rappeler des efforts et des douleurs.

Cinema Paradiso est l’apothéose de ce que le cinéma Italien a su changer de facettes l'image de la production européenne, puisque nous pouvons ressentir une immense admiration de la part de Tornatore pour les légendes qui lui ont forgé sa jeunesse. Le cinéma Italien a toujours compris qu’il fallait inclure la vie autour du personnage, notamment dans le plan magnifique de la rue éclairée par les feux d’artifices et animée par des bruits de verres brisés. Ce plan illustre la solitude du personnage dans l’épanouissement des émotions chez les autres, démontrant l’importance de la représentation de l’Histoire au sein de la petite histoire. La mise en scène me rappelle certaine production de l’époque dans son savoir-faire, son esthétique et son importance pour la population, notamment avec Ettore Scola qui a aussi abordé la nostalgie et la puissance évocatrice d’un lieu avec Le Bal (Sachant que l’on m’a conseillé, la personne se reconnaîtra avec le titre du film, Splendor du même réalisateur, qui possède le même sujet mais n’ayant pas vu, je le mets seulement si vous êtes intéressés). Un mot aussi sur un sujet qui est toujours en vogue de nos jours, alors que ce film nous donne une réponse à cette crainte que la télévision va remplacer la salle de cinéma. La dernière partie de l’histoire nous montre à quel point les personnages d’un statut social différent finissent par se rejoindre au même point que le début de l’histoire : au cinéma. Le film reste pessimiste sur le cinéma de quartier au sens populaire, mais l’effet de la salle sera toujours essentiel par la différence avec la petite lucarne comme avec un attachement plus intense, reconnaissant dans chaque plan une vibration qui continue et plus florissante. Que ce soit la scène d’embrassade dans la salle de projecteur, celle où Alfredo fait jaillir le film dans la place, ou encore la séquence finale, j’ai ressenti que de la passion pour le cinéma qui s’est transmis chez moi, de l’admiration posée à même sur mes joues. Nous revenons toujours à cette passion chez chacun de rêver, de revenir un stade de l’enfance où tout est possible, et de revivre les chamboulements des sentiments qui s’entrecroisent. Sachant que le rêve que je souhaite entreprendre me paraît si inaccessible, entendre les paroles d’Alfredo dite par Philippe Noiret qui possède une voix qui sait être tendre et dur lorsqu’il le faut (“Je ne veux plus t’entendre Toto ! Je veux juste entendre parler de toi.”), me touchent et me poussent à garder en tête de ne jamais m’écarter de mon objectif : atteindre l’origine des images qui me fascinent et qui s’animent sur un écran.

CinéphileduCoin
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le 28 août 2022

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