Le cinéma attendait son hagiographie populaire, Giuseppe Tornatore le lui a donné. Saga nostalgique sur l’Italie des années 50 aux 80, son récit passe par le biais de ce divertissement populaire et de l’évolution d’un enfant pour portraiturer un pays qui s’éloigne inéluctablement de son âge d’or.


Il est ironique de constater quelles sont les premières approches proposées sur le 7ème art : les premières séquences évoquent avant tout l’interdit : pour l’enfant, privé des projections auxquelles il consacre l’argent des courses, et pour les films eux-mêmes, découpés par la censure radicale du curé local. Fragmenté, désiré, le cinéma ne va cesser son expansion tant le désir qu’il suscite est incontrôlable : il déborde sur la place de la ville, on le regarde clandestinement depuis la rivière, sous la pluie, et le Paradiso remplace l’Eglise qui se voulait le centre de la collectivité.


C’est sur cet aspect que le film parvient le mieux à rendre hommage : expliquer comment, dans un pays méditerranéen et traumatisé par la guerre, la salle de projection devient le lieu de la vie : les scènes collectives capturent une communauté qui mange, fornique, se rencontre, apostrophe les comédiens… la jeunesse découvre l’érotisme, le frisson et l’aventure, et Fredo structure toute sa vie par l’écran.


Le motif de la lucarne accompagne ainsi toute sa destinée : c’est celle de la cabine de projection, bien entendu, mais aussi de celle du confessionnal dans lequel il écrit une nouvelle fiction, celle de sa comédie sentimentale, pour la dulcinée dont la fenêtre deviendra le lieu de l’attente énamourée. Pour lui parler, il commence par la filmer et s’adresse à sa projection sur les murs de sa chambre : dans son fanatisme, Fredo va plus loin encore que son mentor, l’attachant Noiret qui cabotine gentiment en père de substitution, autant autoritaire qu’infantile, notamment lorsqu’il passe son certificat d’étude.


L’écran organise ainsi un va-et-vient constant entre la surface et les spectateurs : si ceux-ci viennent s’y abreuver de romanesque, c’est aussi un miroir tendu à leur existence : à de nombreuses reprises, la toile est une mise en abyme hyperbolique de ce qui se joue dans la vie réelle : c’est dans cette alchimie que Tornatore parvient le mieux à dessiner son hommage.
Qui dit âge d’or dit déclin : Cinema Paradiso est aussi un récit nostalgique : celui de l’avènement de la télévision, et du renoncement de l’Italie sur le terrain du 7ème art. En quittant sa ville natale, Fredo peut s’épanouir en tant qu’artiste au prix d’un abandon sentimental, aidé – brutalement – par Alfredo qui l’incite à la rupture.


Le film, trop long et explicite, fut remonté avant son exploitation internationale : ironie du sort, pour un récit qui traite lui-même dès le départ de ce sujet précis des coupes sur le travail créatif. La version longue, de 2h47, est en effet dispensable : elle s’éternise, surtout dans la dernière partie du retour de Fredo adulte et ses retrouvailles avec Elena, qui ne cessent d’expliciter à grands renforts de dialogues ce qu’on avait déjà compris. Autant s’en tenir à la version initiale, qui prenait déjà sa revanche sur les cuts par le montage des images censurées de tous les baisers gardés par Alfredo, et qui résume en une séquence muette la force du cinéma : un flot de vie éphémère devenu immortelle.


(7.5/10)

Sergent_Pepper
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le 10 mars 2017

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