Les premiers plans sont des lignes, des cases, marquées par des reflets déformés du ciel, de la ville, du vide, produits par des façades de buildings. Kerrigan filme d’emblée New York sous un jour glacial, fantomatique, mais c’est pourtant un personnage qui sera bientôt de quasi chaque plan, une femme, Claire Dolan. Elle nous apparait d’abord cloitrée dans une cage, cabine téléphonique dans laquelle elle passe des coups de fil à ses clients, prend rendez-vous pour demain avec l’un, pour maintenant avec l’autre. Claire Dolan est esthéticienne mais aussi call-girl pour un mac auprès de qui elle s’est semble-t-il endettée – On n’en saura guère davantage : Il y a très peu d’info sur son background, il ne reste qu’un présent morbide, sans vie, sans fin. Un défilé d’hommes observés à travers des vitres, des miroirs, des écrans de télévision. Et la prostitution saisie sans fioriture, sans glamour, comme une malédiction. Et le décès brutal d’une mère, qui ébranle le peu qu’il restait à ébranler. Une lueur viendra pourtant s’immiscer, une rencontre, une histoire d’amour avec un homme, Elton. Et bientôt un bébé à venir. Une lueur qui perce malgré la noirceur d’un tableau terrible, un New York écrasant, dangereux, vulgaire, manipulateur, cynique, pervers. Qui prend visage chez ce mac (incarné par un acteur sous-estimé, une vraie gueule qu’on n’oublie pas, aussi bien chez Frears, Kerrigan, Mann ou dans Les ailes de l’enfer, qu’importe que les rôles soient discrets : Col Meaney est absolument glaçant là-dedans) mais pas seulement puisqu’il y a tout un tas de tarés, rencontrés par Claire mais aussi par Elton, incarné par l’excellent Vincent D’Onofrio. Pire, le film est très déstabilisant dans sa temporalité, cumulant les ellipses sans prévenir, renforçant le dispositif impénétrable. Et quand on croyait le film prêt à arpenter un chemin plus lumineux, prêt à capter cette lueur, il s’en va autrement, capte une lueur qu’on n’attendait pas, une lueur d’indépendance absolue. Les deux dernières scènes (En compagnie de Claire face à un monitoring, puis en compagnie d’Elton sur un trottoir new yorkais) sont assez imparables, d’horizon salutaire et de réalisme tragique. C’est donc un très beau portrait de femme, distant car chirurgical, incarné par une actrice habitée, magnifique, Katrin Cartlidge, qui disparaitra tragiquement d’une pneumonie peu après la sortie du film.

JanosValuska
7
Écrit par

Créée

le 4 janv. 2021

Critique lue 123 fois

3 j'aime

JanosValuska

Écrit par

Critique lue 123 fois

3

D'autres avis sur Claire Dolan

Claire Dolan
Fêtons_le_cinéma
6

La proie

Claire Dolan a l’intelligence d’aborder la prostitution comme une malédiction qui colle à la peau du personnage principal, fort d’un ton à la croisée du drame réaliste et du thriller fantastique dans...

le 30 sept. 2020

5 j'aime

2

Claire Dolan
JanosValuska
7

Portrait de femme.

Les premiers plans sont des lignes, des cases, marquées par des reflets déformés du ciel, de la ville, du vide, produits par des façades de buildings. Kerrigan filme d’emblée New York sous un jour...

le 4 janv. 2021

3 j'aime

Claire Dolan
Jduvi
6

Cold girl

Suite au décès de sa mère adorée, Claire, une call girl, tente de changer de vie. Il lui faut pour cela échapper à l'emprise de son mac, Roland Caine, à qui elle doit une grosse somme d'argent. Elle...

le 25 oct. 2022

Du même critique

La Maison des bois
JanosValuska
10

My childhood.

J’ai cette belle sensation que le film ne me quittera jamais, qu’il est déjà bien ancré dans ma mémoire, que je me souviendrai de cette maison, ce village, ce petit garçon pour toujours. J’ai...

le 21 nov. 2014

32 j'aime

5

Titane
JanosValuska
5

The messy demon.

Quand Grave est sorti il y a quatre ans, ça m’avait enthousiasmé. Non pas que le film soit  parfait, loin de là, mais ça faisait tellement de bien de voir un premier film aussi intense...

le 24 juil. 2021

31 j'aime

5

Le Convoi de la peur
JanosValuska
10

Ensorcelés.

Il est certain que ce n’est pas le film qui me fera aimer Star Wars. Je n’ai jamais eu de grande estime pour la saga culte alors quand j’apprends que les deux films sont sortis en même temps en salle...

le 10 déc. 2013

28 j'aime

8