A première vue, Climax, dernier film réalisé par Gaspar Noé en 2018 avant le nouveau Vortex, peut agacer à l'image de son réalisateur, souvent provocateur, que ce soit dans ses tendances d'imageries explicites ou dans son esthétique sous stroboscope. En effet, le long-métrage est alors assez représentatif des écueils propres à Noé, dans la forme, où l'on ne manque pas d'asséner ses influences avec insistance (la scène de la télévision où le cinéphile pourra admirer la bibliothèque de Gaspar), dans des mouvements de caméras souvent jusqu'au-boutistes, ou dans le fond. Car, avec son énorme drapeau français en fond ou ses phrases chocs qui séparent les chapitres, tel «Naître et mourir sont des expériences extraordinaires» ou encore «Vivre est une impossibilité collective.», Climax voudrait pour certains être profondément politique, représentant une France déchirée, fracturée, à travers ce collectif de danseurs qui s'écartèle par la débauche. Si cette thèse peut être intéressante, elle ne tire pourtant pas le meilleur du film qui paraît alors manquer de subtilité. Là où Climax est réellement un excellent film, c'est plutôt dans sa dimension de série-B, qui n'est ni à connotation négative ni parodiée, mais au contraire est pleinement intégrée selon les influences de Gaspar Noé, et surtout traitée comme l'on traiterait une série-A, dans un excès totalement sérieux.


Évidemment, il ne s'agit pas de comparer Climax à des films comme Boulevard de la Mort ou Planète Terreur de Quentin Tarantino et Robert Rodriguez, qui eux sont entièrement des séries B et revendiquent dans une certaine mesure une médiocrité, jouissive, presque fétichiste dans son hommage à la pellicule dont on reproduit même les défauts. Climax, lui, au contraire joue d'abord la carte d'un scénario bien écrit et surtout bien mis en scène: la première séquence de danse est alors un exemple idéal de l'ampleur de cette mise en scène, qui retranscrit des chorégraphies électriques avec une maestria complète, mesurée et jubilatoire à la fois. Dans l'exaltation des corps, Noé filme alors une danse réellement cathartique.
Cependant, tout comme la fête va virer au cauchemar par le biais de la sangria au LSD, Climax ne va pas rester dans cette mesure, et au contraire va entièrement prôner un excès jouissif. Le fait que le générique n'arrive alors qu'au bout d'une bonne demi-heure de film n'est ni un hasard ni un jeu de cinéaste prétentieux: le générique, qui a souvent une place majeure dans les films de Noé, est alors une manière d'achever un film et d'en commencer un autre. Après la fête encadrée, professionnelle, on vire à la débauche, à la luxure et à l'amoralité totale, entre violence et inceste. Le film semble alors dégouliner, suinter le stupre, comme si l'œuvre s'était déjà achevée et qu'il ne restait plus qu'un spectacle de déchirement, d'animosité enfermée dans ce huis-clos, confrontant le spectateur à sa nature voyeuriste.


C'est alors que Climax rentre dans la série-B, en passant par l'intermédiaire horrifique: dès lors que la fête ne laisse derrière elle qu'une frénétique mascarade sentimentale, le film abandonne toute raison et embrasse pleinement son appétit de bouillonnement. Les personnages sont tous des hyènes qui s'entre-dévorent, les acteurs crient, hurlent, aboient, la caméra tournoie dans un ballet effréné, le tout éclairé sous des couleurs qui évoquent bien sûr Dario Argento et le giallo. Et ce jusqu'à la fin, son «climax», scène qui, plus Romero cette fois-ci, vire au film de zombies, dans sa manière de filmer des êtres aliénés, des corps perdus, sans âmes, des bêtes féroces qui ne se contrôlent plus et déambulent comme vidées de toute raison.


On voit ainsi comment Noé rentre dans une abondance démesurée, et dire que son film est immersif jusqu'à la reconstruction des sensations d'une consommation de LSD ne serait cette fois-ci pas si disproportionnée tant la surenchère de folie ne fait qu'appeler à l'hypnotisation du spectateur. D'autant plus que la drogue n'est pas affaire de simple MacGuffin, servant à déconstruire les personnages, ou de prétexte à un twist final attendu: c'est l'alpha et l’oméga du film, de la mise en scène au scénario. Car si un des personnages (on ne dira pas le responsable) se force et force en même temps les autres à consommer du LSD, ce n'est pas par simple sadomasochisme (quoique), mais bien pour combler un vide existentiel: «Mourir est une expérience extraordinaire», nous dit-on.
La drogue est alors réellement une extension fatale de la danse, dans sa dimension cathartique et son agitation des sens. Elle se rapproche même finalement du film en lui-même, en tant qu’expérience artistique. C'est bien Baudelaire qui parlait «d'ivresse de l'Art»: Gaspar Noé est alors véritablement ce «génie», jouant «la comédie au bord de la tombe avec une joie qui l'empêche de voir la tombe» (XXVII. «Une mort héroïque»).


Climax, qui n'est peut-être pas réellement cette métaphore politique, est donc bien un film de l'excès, du trop, dans sa jouissance totale, sans pour autant tomber dans le nanar ou le médiocre revendiqué: au contraire, Noé agite les sens du spectateur et le plonge dans une transe psychédélique, mais par l'art au mieux de la drogue. Le drapeau français est alors moins présent pour faire écho à la politique d'un pays, mais plutôt à son cinéma, qu'il célèbre et revendique, dans un environnement artistique parfois aseptisé: «Un film français et fier de l'être».

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le 15 avr. 2022

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