Voici donc la nouvelle sensation choc des festivals internationaux où le premier long-métrage de Maja Milos a fait grand bruit (le film est interdit en Russie) tout en récoltant pas mal de prix. Vision cash & trash d’une adolescence en perdition (et d’une Serbie pas super glamour), au même titre que les films de Larry Clark (Kids, Bully, Ken Park) ou d’autres collègues du sérail (Clip rappelle beaucoup Ils mourront tous sauf moi de Valéria Guermanika sorti en 2008), Clip ne s’embarrasse d’aucune gêne, style je t’emmerde avec mes scènes de sexe explicites et mon nihilisme larvé imbibé (la scène finale, puissante et tordue comme il faut).

De soirée en nouvelle soirée, d’alcool à flots en lignes de coke, de pipes en vitesse en sodomies brutales, Jasna, 16 ans, tente de s’affirmer et de conquérir Djole, un jeune branleur sur lequel elle a flashé grave, prête à beaucoup (à trop) pour le choper et le garder entre les jambes. Ce ne sont pas nécessairement les nombreuses scènes hard et quasi pornographiques qui viennent soudain nous offenser (on en a vu d’autres), mais la profonde crédulité de Jasna qui suppose que jouer les putains et les filles faciles à 16 ans, c’est aimer carrément et être aimée encore plus. C’est dans ces moments d’égarement physique et émotionnel que le film frappe fort et touche là, quand Jasna, après s’être fait prendre ou avilir (séquence remuante où elle joue la chienne à quatre pattes par terre), se retrouve seule et désemparée (il faut voir comment Djole la laisse en plan à chaque fin de leurs petites affaires, et avec quelle insolence aussi il la jette), a priori consciente de l’indignité de son comportement.

On croit pourtant à un moment que l’amour est vraiment possible entre ces deux-là, et Djole semble plus réceptif, plus attentionné et plus câlin, puis finalement tout s’écroule dès qu’on déballe les sentiments, dès qu’on se montre vulnérable. Les rapports à l’amour et au sexe, loin de toute sensualité, sont sans cesse dénaturés, viciés jusqu’à l’os. Les rengaines dance pop qui résonnent déversent ad nauseam leurs paroles niaises où la femme n’est qu’un simple objet de désir condamnée à être toujours au top, disponible, parfaite, experte, excitante, languissante et si possible pas chiante. Modèle truqué par lequel tu penses les relations, par lequel t’imagines plaire, t’imagines séduire, taper dans l’œil ou taper dans le mille, sans en saisir la cruelle tyrannie. T’es jeune et jolie, alors tu t’en fous pas mal.

Les mecs jouent les caïds et veulent des filles genre salopes qui allument et qui sucent bien. Les filles croient aux sentiments et que donner son cul, c’est se faire aimer et respecter, de son mec et puis aussi des autres filles, pour crâner (voir la scène où Jasna, réduite à pomper Djole dans les toilettes du lycée, s’en vante ensuite auprès de ses copines, aveugle au pitoyable de la situation). On pourra éventuellement rechigner au fait que le film ne raconte rien de nouveau puisque le sujet a déjà été maintes fois abordé ailleurs, et qu’il force parfois un peu la dose sur certains trucs (éducation zéro, malaise familial, décrépitude sociale, ici no future…).

Pas moraliste, pas complaisante, frontale et directe sans vouloir dresser un portrait absolument abouti ou aimable tout gentil (bien au contraire), Maja Milos ne cherche ni la convenance ni le compromis (tant pis pour ceux qui trouveront son film facile et déplacé). Elle colle aux basques de Jasna (impressionnante Isidora Simijonovic) dans sa folle détermination béhavioriste et son besoin incessant de filmer avec son téléphone portable (pour quoi ? Par pur narcissisme exhibé ensuite sur YouTube ou sur Facebook ? Pour prouver qu’elle est bien vivante quand son père agonise ?). À l’âge des possibles, rien ne fait envie sinon la queue ; tout est incertain, intangible dans les pixels baveux des écrans, mais qu’importe puisqu’il faut vivre, et même avec du sperme sur la gueule.
mymp
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le 20 avr. 2013

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mymp

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