Cloud Atlas est une réalisation d’envergure, adapté d’un roman jugé inadaptable par sa densité et sa narration constituée de six épopées différentes, toutes situées dans le temps à différentes époques, du dix neuvième siècle à un futur post-apocalyptique ou la Terre n’est plus qu’une réminiscence du passé glorieux et déchu de l’humanité. Un travail dantesque et périlleux qui à nécessité du temps, et en particulier celui de trois personnes : Tom Tykwer, et le duo Lana, Andy Wachowski. N’étant pas coutumier du cinéma de Tom Tykwer j’éviterais de m’attarder sur lui, dans la volonté de ne rien dire d’infondé malgré sa réussite dans la réalisation du film cité ici (il faut savoir qu’il à été tourné d’une part par Tykwer, et de l’autre par les Wachowski). Par contre, étant donné que, et je ne m’en cache pas, je suis un inconditionnel du cinéma des, désormais frère et sœur, je vais me faire un plaisir d’y aller de mon analyse personnelle car Cloud Atlas englobe à son tour de nombreux thèmes chers au duo, tout en réussissant l’exploit d’en faire une œuvre intégrale.

Je ne ferais pas ici mon laïus envers mes idoles mais j’ai toujours eu cette sensation étrange d’être « connecté » avec les réalisations du duo. Matrix étant évidemment à mes yeux, l’œuvre la plus forte qu’il m’aie été donné de voir et notamment grâce aux messages qu’il cherchait constamment à faire passer au spectateur. Souvenez vous, lorsque Neo et Morpheus se rencontraient enfin, leurs premiers échanges concernaient la notion de destin. Le célèbre pirate informatique demandait au futur élu si il croyait en la destinée, ce que l’intéressé répondait par la négative car « il n’aime pas l’idée de ne pas être aux commandes de sa vie ». Étonnant parallèle parce que c’est justement l’une des thématiques principales de Cloud Atlas, encore près de 15 ans après.

La destinée est loin d’être le seul thème abordé mais il est sans conteste le point central d’où la narration va s’échapper. Cloud Atlas n’est pas qu’une simple histoire dans laquelle tout est mêlé, sans réelle cohérence, c’est une véritable ode à la volonté humaine dans laquelle les Wachowski vont distiller au compte gouttes diverses idées et pensées qui leurs sont chères. A travers d’innombrables personnages savamment maquillés, chaque récit aura un but précis pour chacun de ses héros. Cela peut-être le simple fait de survivre et de rallier la côté américaine en bateau, celui de composer la plus grande symphonie existante, de mettre à jour un complot, de s’évader d’un complexe dans lequel il est emprisonné ou encore de se révolter contre une emprise gouvernementale. Tout un chacun, il devront faire un choix étant donné qu’ils ont également une histoire respective qui leur donnera un peu de fil à retordre. Chacun d’eux à sa propre vision de la vie, de comment l’aborder et c’est probablement ce qui rend si attachant et si universel Cloud Atlas, c’est que chez une personne ou une autre, un thème trouvera au moins une affinité particulière. Même si la volonté et la destinées sont au centre du récit, il faut aussi jouer avec les différentes autres thématiques abordées telles que l’amour, la révolte, l’espoir ou encore la capacité à résister à la tentation.

Des sujets là encore très présents dans l’œuvre des frères et sœurs, aussi bien dans leur mythique trilogie que dans le dernier et fantasque Speed Racer. On pourrait citer le personnage de Cypher qui trahissait l’équipage du Nebuchadnezzar pour retourner dans la matrice ou encore la relation entre Neo & Trinity ou Speed & Trixie. Cela est d’autant plus intéressant qu’aujourd’hui grâce, ou à cause, du changement inopiné de sexe de l’ex Larry Washowski, cela trouve une résonance toute particulière. Lui qui ne s’était jamais senti dans sa peau depuis l’école jusqu’à aujourd’hui, et avait dépeint une partie de sa personnalité dans le personnage de Neo, est aujourd’hui remplacé dans Cloud Atlas par l’héroïne Sonmi qui possède nombre de similitudes avec l’élu. Un joli parallèle qui donne une personnalité et une appartenance bienvenue à l’œuvre.

En somme Cloud Atlas est une œuvre profondément revendicatrice, qui impose son optimisme imperturbable et sa volonté de bouleverser les codes établis. C’est d’ailleurs l’une des plus fortes répliques du long-métrage : « Les frontières sont des conventions n’aspirant qu’à être transcendées. » Le but ici n’est pas simplement de conter une histoire mais bien de changer les choses, la manière dont on peut narrer un récit à une époque ou les histoires conventionnelles s’entassent, ne cherchant jamais réellement à bousculer les codes. C’est d’ailleurs ce qu’il arrive à faire, par le simple langage cinématographique, usant habilement du montage et réussissant à mêler diverses époques sans jamais perdre une seconde son auditoire. A part de simples indications sur les époques dans les vingt premières minutes du film, jamais ensuite le spectateur ne se verra aidé, le montage changeant soudainement de période, l’obligeant soit à s’adapter, soit à tout simplement se laisser emporter. Étant donné que Cloud Atlas conte le récit d’hommes et de femmes qui, part leurs actions, influeront sur le futur de l’autre et leurs descendances, il est d’autant plus intelligent qu’à travers le temps, différents éléments semblables se verront transmis. Cela peut s’agir d’un trait de caractère commun, d’un objet ou tout simplement d’une parole. Grâce à cela, chaque temporalité sera aisément reconnaissable, d’autant plus qu’elles conservent toutes une identité visuelle propre visible dès la première seconde comme ce fut le cas dans Matrix lorsqu’il était question des nuances de vert entre le monde réel et la matrice.

Cloud Atlas sera donc autant ovationné que détesté car il se situe sur une ligne médiane très fine entre le film trop conventionnel, voire presque piteux ou les personnages stéréotypés se multiplient et le film d’envergure universelle, qui dépeint la simplicité de la vie dans sa forme globale. Des destins croisés et liés dans le drame, l’amour ou l’espoir d’une vie meilleure. On passe donc aisément du rire aux pleurs véritables comme on pourrait très bien passer de la tentation suicidaire à la joie véritable dans la vie réelle. Il fallait bien un duo comme les Washowski, accompagnés de Tom Tykwer pour réussir si bien à mettre en forme une œuvre si globale et dense. Un long métrage humaniste, véritable pamphlet envers son époque et son pessimisme ambiant. Prônant la révolte, la volonté, la capacité de faire ses propres choix, Cloud Atlas fait parti de ces films incompris car il est avant tout là pour bouleverser son spectateur et l’obliger à s’adapter à un cinéma pur et sobre, qui implique de réellement narrer une histoire sans pour autant y rajouter une masse d’effets spéciaux ou une symbolique populaire.

Un film simple, aux histoires entremêlées qui seront pour certains, classiques voire inintéressantes, mais qui reflètent simplement ce qu’est avant tout le cinéma : raconter d’une manière cohérente, intéressante et intelligente, une histoire tout en essayant d’y intégrer un message. Profondément humble tout comme l’est Lana Wachowski, Cloud Atlas fait parti de ces films qui vont à l’encontre du système afin d’imposer sa propre vision et sa créativité. Tout comme l’expliquent les dernières répliques :

« Il y a un ordre naturel en ce monde et ceux qui cherchent à s’en écarter ne seront pas épargnés. Ce mouvement ne survivra pas. Si tu ne le rejoins pas vous serez rejeté toute ta famille et toi. Au mieux ton existence sera celle d’un paria sur lequel on crache et frappe. Au pire tu seras lynché et crucifié. Et pourquoi ? Quoique tu fasses, cela ne parviendra jamais qu’à n’être qu’une goutte dans un océan sans limites. » « Mais qu’est-ce qu’un océan, si ce n’est une multitude de gouttes ?
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le 19 mars 2013

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Florian Bodin

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