Coco
7.7
Coco

Long-métrage d'animation de Lee Unkrich et Adrian Molina (2017)

Vertiges (de beauté, d'intelligence, d'émotion)

Avec Studio Ghibli, Pixar est la seule société de production dont la simple vue de son logo me provoque un frisson de plaisir : Pixar est surement l’une des belles inventions de la fin du XXème siècle, par sa promotion du plaisir intelligent. Certes, la compagnie connait des bas, mais aussi des très hauts (Toy Story 3, Vice-Versa), et Coco appartient à la seconde catégorie.


Ce film témoigne d’un grand respect pour ses spectateurs, en l’occurrence, des enfants, le public auquel il s’adresse. En effet, Coco élève le niveau : c’est une œuvre qui rend son jeune spectateur plus intelligent, et meilleur.


Un seul exemple l’illustre : imagine-t-on dans un autre dessin animé américain très grand public un running gag à propos de Frida Kahlo ? Se dire que grâce à un film, des millions d’enfants vont peut-être jeter un œil / s’intéresser / se passionner pour la culture et l’art mexicains, c’est vertigineux, et rassurant quant aux pouvoirs du cinéma…


Et justement, ce film traite d’autres mondes que le nôtre :



  • La culture mexicaine, donc.
    Vaiana avait été accusé de s’approprier, de simplifier, de ridiculiser la culture polynésienne ; mais pas Coco – pour le reste, je ne connais pas la culture mexicaine, je ne sais pas si le film en parle suffisamment bien.


  • Là où le film est le plus fort : son traitement de la mort.
    En plus de simplement aborder le sujet, chose déjà rare dans un dessin animé pour enfants, le film choisit une perceptive étonnante pour le public occidental, habitué à ne pas rigoler avec la mort, habitué à un traitement grave du sujet.
    Or, le film désacralise cette question, fidèle – peut-être – à la tradition mexicaine. Le monde des morts n’est pas le « Royaume des morts », sacré, lourd, solennel, mais plutôt un espace de la quotidienneté.
    C’est une manière d’en parler qui m’a beaucoup plu : le film ne cache pas que la morte est importante, mais il dit qu’elle n’est pas grave. Les morts parlent aux vivants, les vivants se souviennent de leurs morts, et entre les deux, de la continuité, l’existence d’un lien.


  • Et enfin, la couleur.
    Ce doit être un des films les plus colorés de l’histoire du cinéma. La couleur est partout, elle est réjouissante, et son usage n’est pas gratuit : elle s’accorde très bien avec les différentes atmosphères convoquées, et à illuminer le monde des morts, dont la découverte m’a coupé le souffle.



Dans un bon film, il est souvent question de cinéma. Cette profusion de couleur qui enchante le film peut commenter la fadeur des films d’aujourd’hui.

On y trouve de beaux plans de cinéma (comme lorsque la tête de Miguel apparaît en surimpression dans la télé qui diffuse un film de De la Cruz), une maîtrise du langage cinématographique, des hommages au cinéma d’autrefois (dans le monde des morts, des caméras d’autrefois sont utilisées : elles sont « mortes »… mais pas oubliées !), et – Pixar oblige – beaucoup d’invention dans l’usage de l’animation, comme dans la première séquence, où les serviettes en dentelle sont animées pour raconter l’histoire des ancêtres de Miguel.


Le film a bien sûr des défauts : l’intrigue est très bien construite, les personnages sont attachants… mais sont, forcément, écrasés par la force et la beauté de l’univers du film. Vers le milieu du film, l’émerveillement s’amoindrit et l’émotion n’est pas encore à son climax, l’intrigue suit son cours, on s’ennuie un peu (mais pas beaucoup).


Pour finir, une expérience de spectateur, et une petite piste de réflexion sur la magie Pixar. Je me suis surpris à sentir une larmichette monter : cette même petite larme qui monte dans Toy Story 3, quand on comprend que les jouets sont confrontés à la menace de l’oubli et de la privation d’amour ; la même petite larme que dans Vice Versa, lorsque Bing Bong disparaît dans « l’oubli », littérarisé par le film.
Et Coco montre lui aussi que la « vraie » mort, la définitive, c’est l’oubli : les personnages disparaissent du monde des morts lorsque leurs ancêtres les ont oubliés.


Les meilleurs films de Pixar sont obsessionnellement parcourus par ce motif puissant et vertigineux : la peur, non pas de la mort, mais de ne plus être aimé et d’être oublié.

TomCluzeau
9
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le 2 déc. 2017

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Tom Cluzeau

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