Le potentiel romantique du planétarium

Non, mon titre ne reflète pas forcément l'esprit général de ce film de Sion Sono, le tout premier que je vois. Mais c'est une scène que je retiens, qui m'a semblé à la fois poétique, tendre et dotée d'une charge métaphysique puissante.


Difficile de classer ce film dans un genre particulier tant il est traversé de différentes tonalités qui en font un objet artistique baroque complexe à appréhender. A la fois comédie, thriller, policier - Cold Fish tire également son originalité de son traitement radical et cru de la violence et du sexe. Le spectateur sera plus d'une fois dérangé par l'aspect malsain de certaines scènes, dont pourtant se dégagent souvent beaucoup de second degré, de drôlerie et un érotisme sauvage qui ne saurait laisser totalement indifférent.


Nous rencontrons donc Shiamoto, un bon père de famille qui tient une animalerie avec sa femme et son (insupportable et insolente) fille adolescente. Il croise fortuitement la route de Murata - dont le personnage est une sorte de Roberto Benigni japonais - un mec qui roule en Ferrari et embauche sa fille dans sa propre animalerie. Une relation dominant/dominé s'installe entre eux : Shiamoto est écrasé par son nouvel ami, devient un agent servile que Murata va rapidement chercher à exploiter dans des entreprises forcément douteuses.


La musique jour un rôle clé dans l'installation de la tension et de la menace : un compte à rebours se lance, sans que l'on sache véritablement ce à quoi il va aboutir. Ce mystère savamment entretenu m'a paru très réussi.


Sion Sono ne lésine pas sur les effets visuellement repoussants - sol entièrement nappé de sang dans lequel on patine, boyaux répandus partout - en mélangeant clairement les symboles : on se roule des pelles le visage en sang, on s'affronte dans un corps à corps sexuel avant de chercher à s'entretuer. Eros & Thanatos au Pays du Soleil Levant.


L'intérêt de ce film extrême qui divisera forcément c'est également la métamorphose qui s'opère sur le personnage de Shiamoto : d'homme timoré qui tendrait presque sa joue pour recevoir la gifle qu'il estime mériter, il se mue en tueur méthodique et en mari volcanique. Méconnaissable, l'acteur est absolument incroyable de froideur cruelle, de brutalité, avec ce visage marmoréen qui ne sait plus répondre d'aucune tendresse.


Il est question de l'art de rendre invisibles des corps humains, de leur insoutenable légèreté finalement - avec en toile de fond, une profonde réflexion existentielle et métaphysique, très bien rendue par l'obsession de Shiamoto pour le Planétarium et ce vertige qui nous prend à la scène finale : l'infiniment petite et éphémère poussière humaine, l'immensité de l'infini cosmique.


Cold Fish est une expérience cinématographique déroutante à la fois sulfureuse, cruelle et mélancolique, qui déploie toute son originalité dans la radicalité de ses partis-pris et la qualité de sa réflexion philosophique.

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le 24 sept. 2016

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