Une virée nocturne dans une ville tentaculaire. Quand Michael Mann nous invite à entrer dans le taxi conduit par Jamie Foxx, aux côtés de Tom Cruise, une étrange forme de magie se met à opérer, et cela donne Collatéral.


Une rencontre placée sous le signe du hasard, ou presque. Modeste conducteur de taxi, exerçant ce métier qu’il ne juge, de son propre aveu, qu’étant purement alimentaire, Max est un homme comme tant d’autres. Sa vie est rythmée par ses nombreuses courses, qui lui permettent de gagner l’argent qui lui sert à vivre, mais, surtout, à parvenir à financer son ambitieux projet d’agence de limousines. Aujourd’hui, il permet aux gens de se déplacer, et, demain, il voudra les faire voyager, comme il le fait en regardant cette carte postale cachée dans son pare-soleil.


Mais quand Vincent, cet homme mystérieux, entre dans son taxi, c’est une nuit pas comme les autres qui débute. Max va finir par découvrir que cet homme qui lui promet une importante somme d’argent pour le conduire tout au long de la nuit s’acquitte de bien sombres tâches, exécutant des contrats ayant pour objet d’éliminer des cibles humaines. En, somme, Max est pris au piège aux côtés d’un tueur à gages. Beaucoup de choses peuvent alors arriver, et Collatéral va nous envoyer sur des chemins souvent inattendus.


Le film de Michael Mann ne va pas s’intéresser en priorité à la nuit meurtrière de Vincent, mais plutôt à la construction d’une relation étrange et tendue entre deux hommes aux horizons et aux caractères très différents. Max est timide, il manque de confiance en lui, c’est un rêveur qui cherche à s’extirper de son quotidien autant qu’il finit par s’y complaire. Vincent est un pur homme d’action, méticuleux, entreprenant et implacable. Cette nouvelle relation est source de tumultes, le second ayant besoin du premier pour l’amener là où il doit exécuter ses contrats, quand Max, effrayé par la nature imprévisible de son passager, renie par moments sa nature conciliante pour tenter de s’enfuir. Mais, dans ces affrontements et ces moments de complicité mêlés, se dessine quelque chose de très poétique et touchant.


Collatéral fait se confronter et s’associer ces deux personnages aux tempéraments tout à fait opposés pour que l’un redécouvre une forme d’humanité perdue, et que l’autre parvienne à exprimer la sienne pleinement, comme si deux facettes d’une même conscience interagissaient entre elles. Vincent est presque un double, ou une facette cachée de Max, une version plus active qui le pousse à se dépasser pour se libérer de ses entraves, quand l’empathie, l’honnêteté et la timidité touchante de Max rappelle à Vincent qu’il y a encore du bon dans ce monde, et que tout n’est pas aussi froid que ce qu’il voit.


Car Collatéral offre justement la vision d’un monde urbanisé et déshumanisé. Le taxi est un espace d’échange, où l’on oublie souvent de communiquer, alors qu’il permet un contact privilégié entre individus. Dès que l’on quitte l’habitacle, les personnages sont mis en perspective par rapport aux grands bâtiments qui les entourent, le cadre les écrase et les rend tout petits. Par moments, la caméra s’envole vers les hautes cimes des gratte-ciel pour montrer toutes ces voitures qui roulent, si petites vues d’en haut, et l’une d’entre elles étant le théâtre de la rencontre à laquelle nous assistons. De loin, tout paraît bétonné, et la seule vraie vie qui s’anime, c’est celle de cette ville dont les lumières irradient et chassent l’obscurité de la nuit.


Or Collatéral nous ramène à la nature. La nature humaine, donc, avec ces personnages qui discutent et se découvrent au fil de la nuit, mais aussi la nature elle-même, à l’image de la fameuse scène où un loup traverse une route en pleine ville, symbole d’une nature qui n’est jamais loin, malgré tout ce monde urbain et présumé sophistiqué, mais aussi image de ces deux loups solitaires, plus que jamais seuls alors qu’ils vivent au milieu de millions de personnes. On ressent, dans Collatéral, l’appel à des codes et à des thématiques du western, avec, certes, ces règlements de comptes, mais, surtout, un voyage aux racines de la nature humaine, un retour aux sources pour des questionnements existentiels.


Il y a une forme de mélancolie qui se manifeste perpétuellement dans Collatéral, qui retranscrit l’image d’un monde toujours peuplé et toujours moins humain. On retrouve des points communs avec les précédents films de Michael Mann, comme Le Solitaire, avec cette quête d’une liberté impossible et, surtout, Heat, avec ces deux personnages a priori radicalement opposés et qui finissent cependant par se rejoindre. Toujours aussi excellent pour filmer la nuit, pour dénicher la mélancolie et les émotions dans un monde qui paraît dépourvu d’âme, Michael Mann livre un nouveau grand film, en compagnie de grands acteurs, également, pour une virée nocturne mémorable, une croisée des destins que l’on se plaira toujours à vivre de nouveau.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art.

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le 14 nov. 2020

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