Devotion and realism - for country, friendship and woman

Pendant que le conflit armé bat son plein, la production cinématographique est conviée à un peu de solidarité et les films doivent soutenir l'effort de guerre. Ainsi on imagine difficilement l'un de ces films propagandistes se montrer critique envers l'armée de son pays et pourtant, c'est ce qui arrive avec ce Colonel Blimp du duo Powell-Pressburger qui s'est attiré les foudres du pouvoir en place. Il faut dire que l'idée de faire un film vantant les mérites d'une amitié entre un officier Allemand et son homologue Britannique avait de quoi faire grincer quelques dents, d'autant plus si ce dernier est basé sur une célèbre caricature représentant l'establishment Britannique comme conservateur et incapable d'évoluer ou de s'adapter. À partir de cette situation de départ, assez critique, le duo Powell-Pressburger va avoir le bon goût, et le talent, de rendre ce personnage éminemment sympathique en le montrant intelligent, romantique et attaché à une conception noble de l'armée, celle d'un gentleman qui défend un certain code d'honneur et qui préfère perdre une guerre que de la gagner en étant déloyale. Ce n'est rien de dire si parmi toutes les œuvres de propagande d'alors, ce Colonel Blimp est sans doute le film le plus complexe et qui soulève le plus d’intérêt encore aujourd'hui.


On comprend rapidement que les intentions de notre sympathique duo dépassent le simple film de guerre ou le trait de caricature ; Powell, l'anglais, et Pressburger, le juif Hongrois, vont se servir de leur expérience et de leur conviction pour porter une vraie réflexion sur le conflit, voire sur la guerre en général. Grâce à un judicieux sens de l'ellipse, ce film de guerre se paie le luxe de ne montrer aucune scène de combat, l'intérêt étant focalisé sur les Hommes et sur les conséquences du conflit. Et puis, lorsque l'on parle des Hommes, c'est pour en avoir la représentation la plus juste possible, loin de toutes considérations purement partisanes. Le coup de génie de notre duo est de raconter le conflit à travers l'amitié entre un Britannique et un Allemand, pour avoir une vision non-manichéenne des choses. Notre duo va ainsi insister à différencier l'Allemand du nazi, en montrant que ces derniers représentent une catégorie d'adversaires bien différent des premiers. Ainsi si par le passé le soldat Allemand a été l'adversaire du soldat Britannique, l'affrontement était fait dans les règles de l'art de la guerre. Ce que symbolise bien notre tandem en montrant la rivalité entre Candy et Théo durant les péripéties de l'Histoire, on s'affronte en duel en respectant les règles d'usage, ensuite on se respecte voire on peut se lier d'amitié. Aujourd'hui, en 1943, les choses ont changé, les nazis n'ont pas le fair-play des adversaires d’antan, ils ne respectent rien, pour eux seule la victoire compte ! Powell-Pressburger posent ainsi la question aux spectateurs, faut-il respecter de tels adversaires ou changer nos méthodes pour combattre un danger nouveau... Le film peut être vu comme une sorte de fable sur la guerre ; pas seulement propagandiste ou critique, le Colonel Blimp questionne le spectateur sur le sens du conflit et ses valeurs profondes.


C'est dans sa première partie que le trait de caricature, élaboré par David Low pour le quotidien London Evening Standard, se fait essentiellement sentir. C'est avec un certain humour que l'on découvre Candy, en 1943, sorte de vieille baderne de l’armée qui représente un type de soldat certes glorieux mais totalement dépassé par cette nouvelle guerre. L'humour est assez grinçant envers l'élite de l'armée, Candy est représenté comme un vestige du passé, chauve avec de l'embonpoint, et une impressionnante moustache qui lui donne l'image d'un vieux morse accablé par la chaleur et la fatigue. Le film se poursuit par le biais d'un immense flashback qui nous montre le parcours de cet homme, de soldat fougueux à tacticien chevronné, un combattant émérite qui a toujours défendu ses valeurs et fait la guerre en respectant un certain code d'honneur. Le film prend ainsi une dimension très patriotique en montrant les valeurs et l'honneur du soldat traditionnel britannique. Une vision qui n'apparaît pas assommante grâce à l'humour déployé par Powell-Pressburger, on suit ainsi avec plaisir les mésaventures de Candy à Berlin où il provoque un officier allemand avant de défendre sa position au cours d'un duel. Humour et légèreté sont de mise dans cette partie, comme on le constate dans cette façon de filmer le duel avec un Candy qui sait à peine où se trouve son sabre et lors de la convalescence à l’hôpital où les deux hommes sympathisent malgré le peu de vocabulaire de Théo dans la langue de Shakespeare. Le duo d'acteurs est formidablement complémentaire, la légèreté d'un Roger Livesey répondant très bien à la solennité d'Anton Walbrook.


La seconde partie délaisse le burlesque pour porter une vraie réflexion sur le conflit, quelle attitude est juste ou non en temps de guerre, comment agir face à un nouveau type d'adversaire, faut-il s'asseoir sur ses valeurs pour gagner. Le moment le plus touchant du film est sans doute le passage où Théo demande refuge dans le pays de sa femme, chantant la beauté et le charme de l'Angleterre tout en étant lucide sur la position de son pays. Le film pousse ainsi la réflexion sur la place de l'homme en temps de guerre, où l'individu est souvent écrasé par les enjeux, considéré comme un pion sur un échiquier, condamné à se soumettre ou à fuir. Mais le film propose également une réflexion sur les vraies valeurs de l'individu, derrière l'honneur du militaire il y a quelque chose de plus grand, l'amitié indestructible ou l'amour infaillible pour un idéal féminin.


Prenant la forme d'une fable faussement naïve, le film nous touche par ses valeurs humanistes et la justesse des sentiments, l'amour porté par ses deux hommes pour une même femme semble être la seule position sur laquelle le temps et les époques n'ont pas d'emprise. La toute jeune Deborah Kerr incarnant à merveille cet idéal féminin à travers trois rôles qui décrivent l'évolution et l'émancipation de la femme à travers le temps. L'amour inconditionnel de Candy pour chacune de ces figures met déjà à mal le caractère d'un homme qui se voulait immuable jusqu'au prochain déluge.


La beauté et la sensibilité du métrage se traduisent aussi par la représentation esthétique de ce monde en bouleversement, s'il n'y a aucune scène de combat visible, grâce au technicolor, la caméra s'attache à peindre ces paysages en ruine rendant d'autant plus palpable le drame humain ou exalte la beauté de la campagne, comme pour rendre hommage à la beauté immuable. Visuellement le film est soigné, préfigurant ce qui deviendra par la suite la marque de fabrique du tandem Powell-Pressburger.


Le film se veut plus subtil qu'il n'y paraît mais il exploite de manière un peu confuse les différents thèmes, de la même façon il est aussi difficile de cerner le personnage de Candy tant sa représentation change suivant les époques. Pour le reste le film excelle sur sa réflexion sur le temps qui passe, sur le changement des époques et sur le lien immuable de l'amitié. On rit, on est ému, on est interpellé mais forcément moins aujourd'hui qu'en 1943. Alors même si le propos a perdu de sa virulence avec le temps, il reste l'une des œuvres les plus élaborées du célèbre duo si ce n'est pas la meilleure.

Procol-Harum
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le 13 janv. 2023

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Procol Harum

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