À une époque où John Wick explose les compteurs de bodycount et semble nettoyer à lui seul l’ensemble des effectifs de la pègre mondiale, il est bon de se remémorer les quelques figures de massacreurs anti-héroïques qui l’ont précédé à l’écran. Outre la diplomatie légendaire d’un Jack Bauer, véritable fléau des terroristes de tous poils, et le cynisme désabusé d’un John McClane, l’improbable exterminateur des Moriarty modernes, il y eut bien évidemment John Rambo qui, en véritable héros de l’ère Reagan, remporta à lui seul la guerre du Vietnam et bouta l’armée soviétique hors d’Afghanistan. Ou encore le duo de francs-tireurs Burton/Eastwood qui réussirent en leur temps à massacrer sans la moindre difficulté tout un bataillon de soldats nazis dans le mémorable Quand les aigles attaquent. Sans oublier bien sûr le plus immoral d’entre tous, James Bond, et sa fâcheuse manie de fêter ses massacres par de bonnes parties de jambes en l’air.

Pourtant ces vénérables figures tutélaires, dignes héritières des héros homériques de l’Iliade, ne sont rien par rapport au seul et véritable champion de l’hécatombe pelliculée : John Matrix.


Jeune retraité des forces spéciales, papa gâteau étonnamment célibataire, et grand champion de la déforestation à mains nues, John est un gars tout de ce qui a de plus sain, menant une vie tout ce qui a de plus tranquille, dans un foyer champêtre tout ce qui a de plus modeste. Las, un général véreux, à l’accent vaguement sud-américain, a un jour la mauvaise idée de le contrarier en kidnappant sa petite fille, ceci afin de l’obliger à assassiner un politicien quelconque, seul barrage à ses velléités dictatoriales.

Monumentale erreur : en ancien bidasse d’exception, John n’est pas homme à supporter qu’on lui donne des ordres. Un impromptu craquage de cervicales sur American Airlines, une descente d’avion en plein décollage et un réglage de montre façon décompte de 24, et le voilà qui part en sens inverse, bien décidé à secourir sa gamine.

Pour ce faire, John kidnappe une belle hôtesse de l’air, lui saccage sa citadine et la convainc qu’il est juste un gentil père inquiet pour sa fille, légèrement psychopathe sur les bords. Flanqué de cette séduisante comparse (qui l’aide parce qu’elle est sympa et parce qu’en bonne hôtesse de l’air, elle sait piloter un avion), John coince le vilain Gollum en costard et le jette dans le gouffre de Helm, bouffe un béret vert plus grand que lui au p’tit déj, dévalise une armurerie en emportant sur son dos 240 kilos de pétoires et de matos explosif puis débarque sur une île pour massacrer à lui seul l’équivalent des effectifs de l’armée chilienne. Et pas de la plus propre des manières : son stock de munitions étant, contre toute attente, vite épuisé, John esquive les rafales de balles puis use et abuse de tous les outils de jardinage qu’il trouve dans un coin de verdure pour trancher, amputer, énucléer et empaler les pauvres fous qui osent encore lui barrer la route.

Plus difficile à tuer que les centaines de bras cassés qui, à peine cinq minutes avant, lui servaient encore d’armée, Arius, le général véreux, se battra vaillamment contre le papa boucher avant de déclarer forfait de manière très élégante en se voyant criblé de balles des pieds jusqu’au front. Ceci réglé, John s’en ira sauver sa fille des griffes de son rival, un vilain pervers moustachu qui tente sans succès de relancer la mode des gilets en cotte de mailles, et qui aura la fâcheuse surprise de se voir littéralement entuber par le brave papa.

Enfin, sa fille sur le bras et sa nouvelle nana déjà prête à lui faire trois gosses, John tournera définitivement le dos aux 382 macchabées qui gisent sur le champ de bataille et enverra valser l’intéressante offre d’emploi proposée par son ancien patron.

Une manière pour l'intrépide papa de retourner à sa paisible retraite et de sous-entendre que si plus personne ne vient le faire chier, il se contentera à l’avenir de ne couper rien d’autre que du bois.


On le voit, le film de Mark L. Lester, sorti en 1985, a tout de la grandiose épopée guerrière, relevée par de formidables morceaux de bravoure ainsi que la musique entêtante de James Horner qui, le malin, reprenait ici son thème de 48 heures.

Mais sous ses dehors ouvertement belliqueux, ignorant tout de l’enseignement plus subtil de L’Art de la guerre (le scénariste n’a visiblement jamais ouvert le bouquin du vénérable stratège militaire Sun Tzu), Commando cache un sous-texte éminemment plus réflexif, dissertant sur des sujets tels que l’importance du sacré familial, la difficulté d’être père dans un monde toujours plus hostile, l’appréhension de chacun sur sa propre finitude, ainsi que la difficulté morale de donner la mort.

Par sa détermination sans faille, John Matrix n’est pas seulement la personnification d’une amérique reaganienne va-t-en-guerre et triomphante, il est aussi une modernisation de la figure sophocléenne, prisonnier d’un conflit qui n’est au final pas le sien mais qui le devient par la force des choses et le pousse à sortir de sa retraite pour faire un choix qui influera sur la destinée de bon nombre d’autres personnages.

Une figure héroïque finalement plus complexe et profonde qu’elle n’y parait et qui, à travers ses punchlines acerbes et son apparente désinvolture, porte déjà en elle les germes d’autres incarnations de la star.


Car à travers ce Commando, l’interprète de Conan et de Terminator s’humanisait en archétype viril cachant en lui la sensibilité d’un père inquiet. Et incarnait ainsi le premier exemple d’une figure prédominante qui irriguera l’ensemble de sa filmographie future, qu’il s’agisse de cette illustre fantaisie guerrière ou du plus mélancolique Maggie, sans oublier des œuvres telles que Terminator 2, Last Action Hero, True Lies, Junior, Dommage Collatéral, Sabotage ainsi que sa récente série Fubar. En cela, Commando peut s’apprécier comme une œuvre séminale placée en amorce d’une filmographie éminemment cohérente, et que Schwarzenegger, en bon américain adopté, souhaitera la plus humaniste possible.

Créée

le 3 août 2023

Critique lue 40 fois

8 j'aime

2 commentaires

Buddy_Noone

Écrit par

Critique lue 40 fois

8
2

D'autres avis sur Commando

Commando
zombiraptor
8

John Matrix = Jack Slater

Par Crom, que c'est bon ! Un film certainement mal interprété à l'époque, surtout quand on sait que 8 ans plus tard, Last Action Hero dont la portée auto-parodique était l'apanage, a du attendre sa...

le 29 janv. 2013

100 j'aime

16

Commando
danmaker
9

C'est pas entre les yeux que je vais te buter, c'est entre les couilles !

Si j'ai donné une si bonne note à ce film bien évidemment conspué par la critique consensuelle, c'est en raison du fait qu'il s'agit de l'archétype parfait du film de commando à la mode "eighties"...

le 3 févr. 2011

54 j'aime

3

Commando
Torpenn
5

Matrix reloaded

John Matrix est une brute virile couillue jusqu'aux oreilles, il se promène au petit matin en portant des arbres sur l'épaule, il arrache les cabines téléphoniques qui sont sur son passage et...

le 3 févr. 2014

50 j'aime

17

Du même critique

Les Fils de l'homme
Buddy_Noone
9

La balade de Théo

Novembre 2027. L'humanité agonise, aucune naissance n'a eu lieu depuis 18 ans. Pas l'ombre d'un seul enfant dans le monde. Tandis que le cadet de l'humanité vient d'être assassiné et que le monde...

le 18 juil. 2014

92 j'aime

6

Jurassic World
Buddy_Noone
4

Ingen-Yutani

En 1993, sortait avec le succès que l'on sait le premier opus de la franchise Jurassic Park. En combinant les différentes techniques de SFX et en poussant à leur paroxysme des images de synthèse...

le 16 juin 2015

84 j'aime

32