Un beau moment de Cinéma dans un polar étrange et palpitant

Cela fait longtemps que je n’avais pas vu un film de Costa-Gavras. Et surtout j’ai envie d’approfondir sa filmographie - que je connais guère. Je me lance donc dans une rétrospective de sa carrière, et commence avec Compartiments tueurs, son premier long-métrage, qui ne peut qu’être alléchant au vu du casting incroyable, qui réunit tout de même Signoret, Piccoli, Montand, Trintignant, Perrin, Denner et autres acteurs de talent. Du beau monde donc !


Et franchement, c'est un superbe film ! Quelque peu dans la veine de Henri-Georges Clouzot, c'est un grand film policier à la française. Mais un film qui sait sortir de son cadre du film policier (ou du thriller) pour proposer une expérience cinématographique assez incroyable et géniale sur le plan formelle.


La photographie, tout d'abord, est impeccable et magnifique. Mais il y a surtout toute une créativité dans la construction des plans, qui ont des angles parfois improbables et donnent ainsi une sensation de vertige, et de mouvement permanent au spectateur. La mise en scène est d’un incroyable dynamisme (c’est presque parfois fatiguant), mais l’architecture du plan est vraiment sublime. Certains angles de plan semblent même faire écho au caligarisme, mais aussi à L'Atalante de Jean Vigo, qui avait aussi une architecture du plan assez mémorable et vertigineuse - oeuvre qui me rappelait également le caligarisme.


On a là un film passionnant, un policier parfaitement maîtrisé dans son écriture, Costa-Gavras réussit à saisir l’intérêt du spectateur. Il y a quelque chose qui relève presque de la littérature anglo-saxonne ; on peut penser évidemment à Agatha Christie... le premier meurtre se passant dans un train, cela ne peut qu’évoquer Le Crime de l’Orient-Express. Mais il y a aussi toute une intrigue profondément maîtrisée, où le mobile des meurtres se révèlent petit à petit, et cela devient passionnant, exactement comme dans un roman de Christie. Pour autant, le film semble dépasser cela ; il y a également, dans ce film, quelque chose de profondément gothique, que ce soit dans ses tonalités ou même sa construction. On pourrait même aller plus loin et y voir des rapports avec la littérature de Edgar Allan Poe, même s’il n’y a pas une empreinte fantastique autant poussée que dans les oeuvres du grand écrivain américain. Mais bon, on peut y voir des rapports avec deux des plus grandes oeuvres de Poe, à savoir Double assassinat dans la Rue morgue, et La chute de la maison Usher. Disons qu’il y a ce trouble étrange, un trouble qui dépasse la simple dramaturgie, la simple histoire, ce qu’il n’y a pas chez Christie, mais ce qu’il y a, indéniablement, dans la littérature de Poe. Le personnage de Piccoli le montre bien ici ; l’étrangeté de ce personnage se double d’un certain cynisme, et même d’un profond sadisme. D’ailleurs, au-delà de Piccoli, qui ne fait pas long feu, il y a tout un panel de personnages étranges , qui renforcent aussi bien le trouble que génère le film que la fascination du spectateur (Costa-Gavras va même jusqu'à créer des personnages anecdotiques tel que l'exhibitionniste pour renforcer tout le trouble du film) ; il y a une sorte de jouissance du spectateur de progresser dans l'oeuvre , et cela ne se fonde par que sur la découverte, mais également sur la contemplation de personnages et de comportements étrange et passionnants. Costa-Gravas arrive, en réalité, à instaurer une ambiance pesante ; il ne fait pas de son film une simple oeuvre policière qui s’arrête à son scénario (ce que certains critiques littéraires reprochent à Agatha Christie justement ; finalement, c’est un grand plaisir de lire l’oeuvre, mais qu’en reste-t-il après ? De plus, ses oeuvres sont-elles véritablement intéressantes à relire ?), il est ici un formidable créateur d’ambiance, notamment grâce à la construction filmique exceptionnelle du film. Costa-Gavras capte ainsi avec brio le "bizarre", notamment dans la première demi-heure, et surtout dans cette ouverture magnifique et ses 5 premières minutes très oppressantes dans ce train.


J’avoue avoir été un peu déstabilisé par l’accent du sud qu'a Yves Montand dans ce film... Je sais qu'il a grandi à Marseille, et il me semble que jeune il avait un accent méridional, mais il me semblait aussi qu'il s'en était plus ou moins débarrassé. Disons que dans les films que j'ai vu avec Yves Montand, je ne me souviens pas d'un accent aussi prononcé que l'on peut le voir ici, ce qui m'a presque fait éclater de rire au début ! Mais au final, on s'y habitue, et ça participe d'autant plus à toute l'étrangeté de l'oeuvre - car on a là un policier totalement sympathique, qui semble brillant, mais qui, en même temps, semble quelque peu caricatural (et c'est bien entendu volontaire). Et je trouve que c'est particulièrement intéressant... Encore une fois, l'écriture du film est parfaite ! Car rien ne semble aller de soi en réalité, notamment dans les deux premiers tiers du film, et c'est précisément cela qui intrigue le spectateur, le fascine, et qui créé même parfois un certain malaise.


Si j'ai trouvé qu'il y avait quelques petits temps morts dans le deuxième tiers du film, le dernier tiers, quant à lui, est tout simplement passionnant, saisissant, tout est tellement bien ficelé, avec une tension crescendo et absolument dingue ! Je pense à cette scène où Perrin se cache dans la chambre de Bambi en découvrant les deux tueurs, c'est une scène totalement géniale, avec des jeux de lumière magnifique, et une tension qui atteint là son paroxysme, où Costa-Gavras joue sur des petits détails pour susciter cette tension.


Compartiments tueurs est une expérience de Cinéma incroyable, peut-être pas toujours régulière, mais pour un premier film, Costa-Gavras propose quelque chose de visuellement impressionnant, et de complètement passionnant malgré quelques temps-morts. Ce fut excellent !

Reymisteriod2
7
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le 1 févr. 2020

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Reymisteriod2

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