Concerning Violence
7.4
Concerning Violence

Documentaire de Göran Olsson (2014)

Inspiré des Damnés de la Terre de Frantz Fanon, Concerning Violence est un documentaire des plus forts. Traitant de l’anti-impérialisme et de la colonisation à travers près de 90 minutes d’images d’archive, il est la sortie culturelle, humaine même, à ne pas manquer ce mercredi 26 novembre.


Concerning Violence, c’est l’histoire d’un documentaire suédois inspiré d’un essai philosophique franco-martiniquais, narré par une icône musicale afro-américaine, Lauryn Hill. Un joli tour du monde qui nous dépose en Afrique, entre 1950 et 1980, durant la décolonisation. Et pas de n’importe quelle manière : le documentaire s’ouvre par l’expression aveugle de la violence. Par la mise à mort, depuis hélicoptère par des soldats portugais, d’un bétail qui ne saurait se cacher dans une brousse qui ne lui offre aucune défense. Un « No Comment » horrifique qui sonne comme la résonance de brutalités encore plus grandes. Quand le colonisé traite le colon comme animal, comme objet, il nie son humanité. Concerning Violence s’emploie à faire le tri parmi des dizaines d’heures d’images d’archive présentant alternativement colons, colonisés, guérilla et conséquences culturelles.


Göran Hugo Olsson n’en est pas à son coup d’essai. The Black Power Mixtape traite déjà en 2011 de l’évolution du mouvement d’émancipation et de lutte contre les ségrégations raciales, sur le sol américain. C’est le même procédé qu’il reprend dans Concerning Violence, cette fois en ce basant sur Les Damnés de la Terre, l’essai clef de Frantz Fanon. Psychologue et essayiste français, penseur majeur de la décolonisation, ses mots servent de départ, d’appui et de boussole à la fois. Narrés par le flow impeccable, passionné et révolté de l’affirmée Lauryn Hill, ex-Fugees, ils assurent avec brio la transition entre les images des combats du Mozambique, de l’Angola, entre les persécutions au Liberia ou en Tanzanie.



DÉCONSTRUCTION ET RECONSTRUCTION DE LA VIOLENCE



Les Damnés de la Terre fait autant figure de don à l’humanité que Fanon décède au moment de sa publication. Il fut toutefois rapidement interdit en France. En cause, son étude de la violence non seulement chez les colonisés, mais aussi chez les colons, comme seul recours possible offert pour l’indépendance. Un état surligné par une préface rédigée par Sartre lui-même, pour qui Fanon voue une admiration absolue. Une référence qui fait moins figure d’honneur que de fardeau pour les propos du Martiniquais d’origine. Car l’apologie sourde de la violence sera, pour beaucoup, la seule morale de cette fable.


Une analyse biaisée, aussi rapide que maladroitement définitive expliquée alors par un contexte délicat, celui de l’Algérie des années 60. Concerning Violence constitue donc l’aubaine d’un regard nouveau, à l’heure où la mondialisation réduit l’indépendance à un suicide économico-financier. L’objectif est donc de dépasser la violence, la comprendre, la disséquer pour comprendre ses causalités. D’y ajouter aussi une nouvelle dimension, en mettant en lumière le rôle des femmes grâce à la théoricienne post-coloniale Gayatri Chakravorty Spivak, auteur d’une préface nécessaire pour en finir, enfin, avec le spectre éternel de Sartre.


Concerning Violence assume sa filiation presque totale avec Les Damnés de la Terre jusqu’à sa forme. Découpé en 9 chapitres pour autant de « scènes de l’autodéfense anti-impérialiste », le documentaire suit une structure très proche de l’essai. Chaque démonstration illustre un aspect du colonialisme, sous la forme d’une théorie (celle de Fanon) où les images d’archive servent d’illustrations aux causalités, possédant chacune une force incroyable. Göran Hugo Olsson s’applique avec un équilibre remarquable à présenter colons et colonisés de manière toujours égale. S’entremêlent aux scènes de vie la brutalité des combats, des résistances, des luttes et des intolérances. Jusqu’à ce que l’horreur et le quotidien ne fassent plus qu’un, les deux notions engluées dans cette boue colonialiste faite d’exploitation des Hommes et des ressources.
concerning violence paris



DU SENS DES VICTOIRES ET DES DÉFAITES, DE LA NÉCESSITÉ DE L’ESPOIR



A sujet sensible, Concerning Violence ne peut s’empêcher de toucher du doigt les polémiques. Comme lorsqu’il présente l’entretien de Robert Mugabe, alors chef de la guérilla pour l’indépendance de l’ex-Rhodésie du Sud (aujourd’hui Zimbabwe), plongeant par la suite le pays dans la dictature et dans une pénurie alimentaire sans précédent. Toutefois, s’arrêter à une binarité de jugement superficielle de l’application des idéaux serait se soumettre aux mêmes freins qui ont tant nui à la diffusion du livre au moment de sa sortie. Pour Fanon, « toute décolonisation est une réussite ». Des mots qui résonnent au son de la voix de Lauryn Hill mais qui se superposent fatalement aux mutilations des combats, côté militaires comme civils, et à la négation de l’être. La nature n’a pas étendu son don de régénération à ceux qui la foulent. Les bras et les jambes sectionnés sont autant de mortifications qui ne marqueront jamais autant le spectateur que les sociétés colonisées qui les ont subies.


Présenté de manière anti-chronologique, Concerning Violence virevolte au gré de ses archives, de ses témoignages. Des images dont la puissance est parfois mal maitrisée et rendent confuse la construction du documentaire, créant un ensemble puissant et monstrueux. Un défaut qui n’en est pas vraiment un : peut-on véritablement canaliser un tel Goliath ? La définition de l’Homme nouveau sur lequel le film se conclut paraît presque d’un autre temps, d’une autre pensée, quand l’idéalisme avait encore espoir d’être rejoint par les actes. Au-delà de toutes les conclusions, au-delà des regards croisés entre discours passés et réalité présente ou des causalités de responsabilité, Concerning Violence fait un écho effrayant à l’état actuel du monde. Le plus important à la sortie de ce poignant documentaire n’est pas de repartir avec la conclusion universelle, mais de se souvenir que l’espoir est encore le meilleur rempart contre le cynisme, l’immobilisme, et donc en l’état actuel des choses, contre l’acceptation de l’oppression du colon.


Publié sur hypesoul.com

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le 17 nov. 2015

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