J’ai envie de parler de Conte du hasard et autres fantaisies de R. Hamaguchi. Un samedi après-midi, le soleil était au zénith et moi dans une salle noire devant un écran, je touchais au septième ciel.
Conte I : magie ?
Il y a un shooting photo, puis deux amies qui discutent dans la voiture sur le chemin du retour.
Je suis attentivement leur discussion et leur expression. L’une raconte à son amie qu’elle a rencontré quelqu’un, qu’elle pense l’aimer, qu’elle a envie de le revoir. Ça ne casse pas trois pattes à un canard, mais ce sont tous les détails anecdotiques de leur rencontre qui sont touchants. Ces informations qui n’ont pas de « but » scénaristique direct, servent à ancrer la situation dans le réel, à incarner la discussion
et à obtenir à mes yeux, sa crédibilité et son authenticité. « Alors l’écran reproduit le flux et le reflux de [mon] imagination qui se nourri de la réalité à laquelle elle projette de se substituer » disait Bazin. Ça y est, j’ai accepté que l’écran se substitue à la réalité et maintenant tout peut arriver !
Les filles continuent à discuter, et je les connais de mieux en mieux. Ça fait maintenant dix
minutes qu’elles discutent dans le même plan. Il n’y a pas une coupe. Tout est ancré dans l’espace et dans le temps qui coule : tout est alors simultané. Puis, il y a quelques raccords d’une scène à l’autre, mais qui ne gâchent en rien l’authenticité construite. Je tombe amoureux de Meiko. Son fort caractère, ses faiblesses et son affirmation ne me laisse indifférent. Le film me montre l’une de ses fantaisies. Une des scènes qui vient de se passer sous mes yeux
n’était pas réel mais une projection mentale de Meiko. Le simulacre est brisé. Je suis d’autant plus touché par cet aveu de l’illusion. Je sais que c’est irréel, que ce n’est pas authentique, mais je m’en fiche, je veux y croire ! L’émotion me monte aux yeux, et le conte se termine. Magie ?
Conte II : la porte ouverte
J’ai tout donné dans le conte précédent (pourtant assis), je ne pense pas réussir à entrer dans le deuxième. La porte s’ouvre et on entend les cris d’un étudiant à genou suppliant un homme de lui donner du travail. L’homme laisse volontairement la porte ouverte aux regards, comme pour l’humilier. Immédiatement, j’ai une profonde aversion pour cet homme. Plus tard, une étudiante vient dans son bureau pour le séduire, enregistrer ses avances et les publier sur internet. J’apprends que l’homme est un écrivain qui vient de sortir un livre à succès. Dans la discussion, il apparaît doux et humble. Il se méfie de l’allumeuse. Toujours dans le même espace et dans le même plan (à quelques champs, contre-champs près), ils discutent. L’écrivain semble avoir une vie ennuyeuse, il commence à me faire de la peine. La tension sexuelle monte, mais l’écrivain s’abstient
et l’étudiante finit par être démasquée. Je me demande quelle était son intérêt dans tout ça. Je sens les personnages se complexifier. Ils sont plein de choses à la fois : multiformes et contradictions. Le plan s’épaissit. Il s’est tellement densifié et complexifié à coût de couches narratives que je m’y perds. Je ne sais plus démêler le bien du mal, mais j’aime cette perdition morale. L’étudiante est la victime finale de cette histoire. A la demande du premier étudiant humilié au début du conte, elle a accepté de le venger en séduisant l’écrivain. Tout s’est inversé. L’histoire m’a donné plus tort que raison et à nouveau, je suis sous le charme.
Conte 3 : encore une fois
Ça commence par des retrouvailles.
L’une ne reconnaît pas l’autre, aïe.
Heureusement, elle ne le fait pas voir.
Raconté la réalité comme si elle était une histoire.
Démasquée, la tromperie est effroyable,
Et pourtant, il y a un goût désirable
A simuler le jeu des âmes soeurs.
Jouons de nos malheurs !
De bon coeur, je te cède ma foi.
Monte l’émotion, encore une fois.