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Control
7.6
Control

Film de Anton Corbijn (2007)

"Guess your dreams always end" Ian Curtis

J'ai vu ce film en salle à sa sortie. C'est un film fait par un fan de Joy Division pour les fans de Joy Division. C'est aussi un film plein d'empathie et de tendresse pour Ian Curtis. Il ne pouvait que toucher la fan de longue date que je suis. C'est un groupe qui fait partie de moi toujours aujourd'hui et qui reste à part parmi tous les groupes de rock que j'admire. Leur musique est belle, sauvage, classe et Ian inspire un mélange de tendresse et d'admiration que peu de chanteurs sont capables d'inspirer.

Anton Corbijn a réussi l'incroyable exploit de créer une oeuvre digne de Joy Division et son leader. Ce n'est en aucun cas un "biopic", genre qui pollue beaucoup trop le cinéma. C'est une oeuvre qui tente de capturer l'amosphère d'un endroit, d'une époque et d'un groupe emblématique. "Control", c'est Ian, Joy Division, l'Angleterre de Manchester et la fin des années 70. Il ne couvre que les trois dernières années de la vie de Ian.

Le film est en noir et blanc, "parce qu'on connaît surtout Joy Division en noir et blanc", dixit Corbijn. Et puis parce que l'Angleterre de cette époque lui a semblé grise à son arrivée de Hollande. La photo de Martin Ruhe est magnifique et fait écho aux icônique photos que Kevin Cummins a faites du groupe. Elle dégage aussi une poésie qui fait écho aux textes en noir et gris de Ian.

Corbijn commence par poser quelques jalons importants de la naissance du groupe (le concert des Sex Pistols en 76, passage à la télé) et de la vie de Ian (travail à Pôle Emploi, mariage à 19 ans). L'atmosphère est légère et lumineuse.

Elle change à partir de la naissance de Natalie et de la première grosse crise d'épilepsie de Ian. Le groupe marche vers le succès, mais l'atmosphère s'assombrit peu à peu. Ian est un homme timide et introverti hors de la scène, dépassé et rongé par ses problèmes personnels (mariage trop précoce, crises d'épilepsie de plus en plus difficiles à vivre). Sa rencontre avec une autre femme et le succès grandissant du groupe ne vont que compliquer les choses. Corbijn nous montre un jeune homme prisonnier de ses problèmes et incapable d'en parler.

C'est dans la deuxième partie du film que le noir et blanc est le plus efficace. Corbijn enferme Sam Riley (Ian) dans des cadres aux éclairages et au noir et blanc plus contrastés, le filme en gros plans oppressants, tandis que Ian s'enferme dans le silence et l'impuissance. Sam Riley est totalement déchirant, restituant parfaitement toute la complexité et le mystère d'un homme écorché vif, sans aucune protection contre les aléas de la vie, incapable de prendre du recul. La scène qui donne un aperçu de la personnalité de Ian - la plus belle selon moi et la plus poignante - est celle où sa femme veut l'obliger à admettre qu'il la trompe avec une autre femme. Samantha Morton le fait peu à peu reculer dans un coin de la pièce, sans le toucher, juste avec ses paroles de femme blessée. Et Sam Riley ne dit pas un mot, baissant la tête comme un petit garçon grondée par sa mère. C'est une scène bouleversante qui reflète bien l'attitude de Corbijn envers Ian Curtis : il n'en fait pas une icône ou un héros, mais lui rend son humanité, ses défauts et sa complexité. Il n'hésite pas à le montrer sous un jour peu sympathique. Curtis n'était pas seulement un poète et un rocker torturé; c'était aussi un homme fragile, incapable de dire non, indécis, ambitieux, secret, explosif, vite débordé par les problèmes même minuscules. Et ce ne sont pas les médicaments puissants qu'il ingurgitait quotidiennement qui devaient arranger les choses. Corbijn montre beaucoup d'empathie et même de tendresse envers Ian, mais il n'est jamais hagiographique.

De même, l'interprétation de Sam Riley est digne d'éloges, tant elle est humble et précise. L'acteur ne ressemble pas trait pour trait à Ian, mais physiquement, il a quand même l'essentiel : la silhouette, la pâleur et la finesse des traits du visage. Je peux facilement accepter un Ian Curtis aux yeux marron, mais j'aurais plus difficilement accepté un Ian petit ou trapu. Il a le visage ciselé, la grande silhouette maigre et la grâce de Ian. Miraculeusement, il a aussi une voix qui convient : douce, un peu pâteuse (à cause des médicaments) quand il parle, et plus puissante et caverneuse quand il chante.

C'est surtout son jeu qui force l'admiration. Son personnage étant plutôt mutique, il faut qu'il passe par son visage, ses geste, son langage corporel pour faire exister Ian. Grâce à son jeu sensible, à fleur de peau, il dégage un charisme et une présence dignes de Ian et sa détresse nous touche profondément. Et ça, c'est bien plus important qu'une simple ressemblance physique. A propos, l'acteur idéal physiquement aurait été Aidan Quinn, mais il aurait été trop vieux. Mais revenons à nos moutons. Sam Riley est fabuleux et ça restera l'interprétation de sa vie, je pense. Les autres acteurs sont tout aussi admirables, Samantha Morton en tête dans un rôle pas facile d'épouse délaissée.

J'aime bien la sobriété de la mise en scène de Corbijn, ce qui n'empêche pas des plans et des cadrages de toute beauté. Les dialogues sont réduits au minimum - on sent le photographe et le génial créateur de clips - mais la poésie est partout, surtout dans des scènes muettes, comme celle (que j'adore) où, de retour d'une tournée (en compagnie de son amoureuse Annik Honoré), Ian s'arrête pour regarder un poteau électrique cerné de câbles allant dans toutes les directions avant d'entrer chez lui. On dirait un militaire de retour de permission qui fait une pause avant d'entrer dans la caserne. Tout est dit sur son état d'esprit tourmenté en quelques plans muets.

Corbijn nous montre l'envers du décor du rock. Derrière la photo tellement cool et mythique de Ian fumant en trench dans la neige, il y a un jeune homme épileptique trop fragile pour affronter les difficultés de la vie.


Mairrresse
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le 31 déc. 2024

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