De Cronenberg, je ne connais pas tout, sinon "A History of Violence", chef d'oeuvre excellent pour débuter la filmographie de ce réalisateur, "A Dangerous Method", autre réussite, et, surtout, "Maps To The Stars", qui m'a retourné l'intérieur de la tête. Cet homme a le don de raconter, de créer des personnages intéressants - eh, c'est une putain de qualité, à mes yeux -, de choisir des acteurs intéressants et de poser dans leur bouche des dialogues enivrants. Son don pour mettre en scène mêle dramaturgie et cinéma (surtout dans le cas présent) et ses films se lisent toujours à plusieurs niveaux. Tout comme un bon livre nécessite une première lecture, d'abord affective, et un tas d'autres, plus analytiques, le cinéma de Cronenberg possède plusieurs degrés de lecture - ou de visionnage - toutes plus intéressantes les unes que les autres.
Seulement, le cas de "Cosmopolis" est particulier.
J'ai dû m'y reprendre à deux fois, pour l'ingérer correctement. "Cosmopolis" est problématique, à mes yeux. Il est très bon, oui, dans la veine cronenbergienne, avec des phrases-miroirs dans lesquelles le spectateur peut se contempler dans un soupir, avec une mise en scène qui relève de la dramaturgie théâtrale (les dialogues y sont pour quelque chose, n'étant pas naturels du tout, et avec cette puissance oratoire que l'on retrouve dans les très bonnes pièces).
Le problème n'est pas dans la justesse des propos tenus, ni dans l'intérêt du film (dont le discours vaut cent fois mieux que ce que l'on nous sert d'habitude), le problème est ... dans le rythme. Parce que "Cosmopolis", je l'ai senti passer. Minute par minute. J'accrochais, je décrochais, en boucle, tant ce film relève plus d'une suite de discours critiques autour de notre époque que d'une histoire dans laquelle on peut, poussé par le suspens, l'empathie, ou autre armes de la narration cinématographique, être emporté brusquement. Non, là, on s’assoit, on écoute, et on fait face à tellement de métaphores que rien n'est évident.
Les personnages apparaissent, parlent, s'évanouissent, sans qu'on ait le temps de s'y attacher ou de les retenir. Seul demeure le personnage principal, qui est déshumanisé à tel point qu'on ne peut ressentir aucune réelle empathie envers lui. On ne sait pas où il va. On ne sait pas ce qu'il fait, ni ce qu'il fera, d'ailleurs. On sait juste qu'il a envie d'aller chez le coiffeur, et qu'il est pris dans toute une tourmente qu'on comprend à peine. Des saynètes se superposent, et le spectateur ne peut alors que faire face à des mots, des mots, des mots, et durs, de surcroît.
Pas d'empathie, donc. Cronenberg nous présente un panel de personnages désincarnés. Pas de liens. Juste des échanges. Et un regard froid sur les interactions, connexions entre êtres humains, et sur tout ce monde qui nous enrobe et qu'on enrobe perpétuellement.
C'est très intelligent, c'est merveilleusement bien pensé. La limousine comme isolation face au monde extérieur et à son bruit, comme illustration de ce sentiment de traverser quelque chose sans vraiment y être, avec toujours ce regard froid, extérieur, reculé sur tout ce qui advient, ça, c'est brillant. C'est très fort. Mais, à regarder, c'est absolument pas reposant. "Cosmopolis" n'utilise pas les ressorts du cinéma, il plaque sur un long-métrage un regard sur le monde et les gens, sans vecteur éventuellement distractif. Si ce film est une distraction, c'est pour nos petites cellules grises, pas pour la partie de notre cerveau qui aime apprendre et réfléchir en passant par quelque chose. C'est du "bam, dans ta gueule", quoi.
C'est pour ça que je mets un 7/10 à ce film. Aussi stimulant qu'un roman à théses, et aussi peu euphorisant.