Le problème de ce film, c'est que c'est une des premières œuvres de Sam Peckinpah. Du coup, on regarde rarement Coups de feu dans la Sierra pour lui-même : trop souvent, on y cherche les prémices de ce qui deviendra La Horde Sauvage ou Pat Garrett et Billy the Kid. Alors que ce film peut très bien se regarder pour lui-même, indépendamment du reste de l’œuvre d'un cinéaste majeur.
Coups de feu dans le Sierra a, dès le début, des allures d'honnête western de série B, avec son scénario des plus classiques : un ancien sheriff, Stephen Judd, est engagé pour convoyer de l'or depuis une mine jusqu'à la ville la plus proche. Il va faire le boulot avec son ancien adjoint, Gil Westrum, et un jeunot, Heck Longtree. mais cet adjoint a bien l'intention de partir avec l'or.
Mais très vite, on sent que le film sort du cadre restrictif d'une série B ordinaire. Très tôt, un thème majeur est présenté : la fin de l'époque glorieuse de la conquête de l'Ouest et de ses héros. Les deux personnages principaux sont deux anciennes gloires obligées de cachetonner pour avoir de quoi vivre. Les personnes les plus influentes sont désormais les banquiers.
Et à cela va s'ajouter un conflit de générations. Entre les deux "vieux" et le petit jeune qui, au début, n'est pas à son avantage : petit arnaqueur pas très futé, impulsif et trop sûr de lui. Mais le voyage va (comme tous les voyages) lui mettre du plomb dans la tête (que dans la tête ? je ne le dirai pas).
Conflit des générations aussi dans une famille rencontrée en cours de route. Un fanatique religieux vit, isolé du monde forcément perverti, avec sa fille, Elsa. Pas la peine de dire que ce sympathique personnage, qui fait un peu penser à la future mère de Carrie, voit d'un très mauvais œil l'arrivée d'un jeune homme dans les environs. Et que la petite Elsa, avec son sourire craquant, n'a qu'une envie : s'enfuir ! Un personnage comme ce père n'est pas fréquent dans le western traditionnel.

De même, le personnage de Gil est original par son ambiguïté. Il est à la fois attiré par le magot, prêt à la trahison à la moindre occasion, et en même temps il reste fidèle à son compagnon. Tiraillé par deux sentiments contradictoires, on sent qu'il peut vaciller à chaque instant et qu'en même temps il constitue un appui solide. Ce type d'ambivalence est très rare dans un genre qui aime les personnages monolithiques, et est digne des grands films de Ford.
A cela s'ajoute une réalisation qui nous réserve quelques surprises de taille, comme cette inoubliable scène de mariage qui, avec le jeu des acteurs, les cadrages, les décors, le montage, parvient à instaurer une ambiance glauque. Warren Oates incarne un personnage très particulier aussi, sorte de dégénéré dangereux avec son corbeau sur l'épaule. Les dialogues sont ciselés, avec d'excellentes répliques (ce qui n'est pas fréquent non plus dans un western). Un grand film, qui marque une transition entre les westerns classiques et ceux que j'appelle "les westerns décadents", dont Peckinpah sera un des grands représentants.
SanFelice
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le 19 mai 2013

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SanFelice

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