"Les hommes naissent d'accidents, vivent de maladies et meurent de rencontres" (Jean-Paul Sartre).
Réévaluation à la hausse pour un film que je n'avais guère apprécié lors de mon premier visionnage, objet formel à la beauté aussi certaine que glaciale. Oeuvre théorique, sciemment cérébrale voire malade et névrotique Crash de David Cronenberg nous entraîne dans un voyage mental mêlé de chair, de mécanique et de pulsions scopiques ; clairement situé entre deux eaux ce polar érotique aux allures de porno soft et malaisant accumule à sa guise toutes formes et toutes sortes de frustrations : le réalisateur y perpétue ses accès déviants et son goût prononcé pour le bizarre, tenant ses sujets à distance comme pour un sidérant supplice de Tantale interactif.
Porté par un casting de haut prestige ( Deborah Kara Unger parfaite en égérie froide, Elias Koteas impérial en fétichiste morbide...) Crash suggère l'idée consistant à affirmer que la technologie pourrait être le chaînon manquant idéal entre l'embrasement des sens et la beauté post-mortem. Cronenberg nous amène, de ce point de vue, vers son futur eXistenZ, salmigondis cyber-punk explorant à son tour les pulsions sexuelles liées à la fusion des chairs et des entités grises... Jouant de ses métaphores suggestives et crispantes Crash bénéficie en outre d'une atmosphère unique et d'un style visuel particulièrement chiadé ( montage au cordeau, photographie proche de la gravure sur papier glacé, musique métallique de Howard Shore ), rappelant notamment certains sommets du cinéma de David Lynch ( Blue Velvet un peu, Lost Highway énormément ) tout en s'amusant avec tout un pan de la mythologie hollywoodienne...
Un film froidement glamour, tour à tour conceptuel et paradoxalement sensoriel, dont la violence perverse présage à chaque instant un terrifiant passage à l'acte... On retrouve dans Crash les plaies béantes de Videodrome et du Festin Nu et l'incessante dualité entre la chair et l'esprit, deux thématiques traversant le Cinéma à la fois trouble et organique de David Cronenberg. Un film énigmatique à revoir impérativement pour mieux en savourer la profondeur...