Pour une génération entière (la mienne notamment), il n’était pas rare de railler autrui en ponctuant son "argumentaire" par un cinglant "arrête de te prendre pour Rocky!". Tout comme on ne parlait pas de pratiquant (raté) d’arts martiaux mais de quelqu’un qui se "prend pour Bruce Lee". C’est dire combien l’étalon italien reste la matérialisation-même, la définition du boxeur ultime.
Décliné (jusqu’à plus soif) en 6 épisodes, respecté, moqué, appartenant aux films tantôt "cultes" tantôt aux gentils navets, Rocky/Stallone tracte avec lui des valeurs certes simples mais admises tant par le spectateur que par l’acteur lui-même : la force (avec un consentement/une banalisation de compléments pour "favoriser" la prise de masse), la sacralisation du corps comme un temple, l’obtention de la "récompense" par l’entraînement…un peu à l’image du "loisir" de masse qui commençait à s’imposer à l’époque (le jeu vidéo en l’occurrence), Rocky "passait les niveaux" avec à chaque fois un boss à combattre.
L’épisode 6 se devait de coller avec ses valeurs en plus de celles du "jeunisme" dans le sport. En effet, le film se situe trois ans après la troisième retraite de Michael Jordan et alors que celle de Michael Schumacher commence à bruisser dans les paddocks. Dans tous les cas, médias comme observateurs ne cesseront de s’interroger sur la capacité de ses "vieux briscards" à mater la jeune classe. La réponse de l’épisode 6 de Rocky fut sans retenue : de la force, de l’endurance certes mais de la force, de la puissance…
Aussi, Creed commet-il un crime de lèse-majesté en s’éloignant de la linéature de la saga ? Après 133 minutes, la question ne se pose même plus. Et jamais le sous-titre du film n’aura jamais aussi bien porté son nom. Face à des figures imposées (la chute, le doute, la rédemption, l’effort et le combat), Creed propose donc un héritage. Soit une prise de conscience, une introspection. Celle d’un héros d’autrefois, âgé, rattrapé par la morosité de la "seconde vie des sportifs", cette inéluctable petite mort. Le film est aussi la remise en question d’un protagoniste dont le patronyme confine à la crainte d’une reproduction sociale redoutée, à un abandon mésestimé voire mal défini. Et même si l’intrigue amoureuse souffre d’une relative légèreté, c’est bien la filiation qui est redéfinie de manière habile : il y a certes le nom, le sang mais c’est surtout le lien éprouvé, (re)travaillé qui caractérise une famille.
De fait, outre ses réflexions, le film ne délaisse aucunement ce qui a fait la réputation de Sylvester Stallone. Creed est l’occasion de profiter de séquences d’entraînements, de jab, crochets (poursuivant la tradition "stallonienne" des coups réellement portés pour ajouter au réalisme des combats), corde à sauter, poire…à ceci près que si dans les précédents épisodes c’était les poings, le jeu de jambe qui "parlaient", on assiste dans Creed à une sorte de Director’s Cut de Rocky/Stallone. Cette voix affaiblie, cette diction propre à l'acteur, distillent des conseils, évoquent des sensations, guident Adonis, magnifiant deux muscles essentiels du noble art: le cœur et le cerveau. Plus qu’une valeur ajoutée, ce timbre caractéristique guidant Adonis susurre les préalables à l’acquisition d’un "skill", adoube, reprend sans se départir d’un esprit d’équipe. Et c’est là l’une des clés de ce long-métrage : Stallone est ici au service d’une équipe (quasi contraint mais aussi de manière volontaire) et apporte une contribution (certes majeur) au Team Creed. Là où les précédents épisodes vantaient le mérite seul de Stallone à atteindre les sommets via un crew, Creed insiste un peu plus et fait de l’équipe un rouage essentiel pour parvenir à la victoire finale.
Oscar du meilleur film en 1977, Rocky restera pourtant comme le film ayant mis sur la carte des Etats-Unis (pour nous non-Yankee) la ville de Philadelphie. Bien avant Allen Iverson, Le Prince de Bel-Air ou The Roots (par ailleurs présent sur l’OST), Rocky a été le meilleur VRP d’une ville pas forcément "touristique" mais diablement cinématographique. Creed poursuit cette mise en avant avec le "juste-ce-qu’il-faut" pour comprendre le caractère "sinistré" d’une ville coincée entre NY et Washington DC. Soit dans ce film, une ville un peu hors du temps, délaissée, vivant dans le culte du moteur (quad, moto…) et de l’art au sens large (musique, noble art notamment).
La scène finale illustre parfaitement le virage pris par la saga. Habitué à engloutir ses marches (au sommet duquel trônait une statue à son effigie) au pas de course, Robert "Rocky" doit cette fois prendre son temps. Comme pour mieux doser son effort entre chaque marche. Comme pour mieux mesurer la déclivité pour atteindre le sommet. Comme pour mieux "encaisser" l’énergie laissée à parvenir tout en haut. Le tout accompagné et les yeux rivés vers l’avant. Qu’importe les avanies, au final, il y eut, a et aura dans cette saga ce regard de Stallone : direct, franc, gourmand…pétri de force donc mais jamais avare d’humour et entouré, dorénavant, d’une famille.