Cross est un flic bad ass comme on n'en voit que dans les yeux de Charles Bronson. Veste de cuir, lunettes de soleil, solitude du divorcé, désintérêt affiché pour la paperasse et la propreté des locaux des forces de l'ordre (il jette négligemment au sol son gobelet en plastique), Cross zone dans son bureau en attendant de tomber sur une enquête qui devienne personnelle, seul motif à même de l'impliquer dans son travail. En attendant, il va regarder Roland Giraud qui participe à des combats à mort dans des arènes à la Full Contact. Bon, on ne voit pas grand chose car le réalisateur a la bonne idée de couper la lumière au moment où Roland achève avec son cran d'arrêt un big black bariolé.
Cette petite vie morne bascule quand sa famille est prise en otage par un ancien détenu - secondé d'une équipe de malades mentaux (il les a lui-même fait évader du pavillon "Psychothérapie comportementale" de l'HP du coin) -, dont l'appétit de vengeance menace de transformer la négociation en bain de sang. Seule solution : convaincre Roland Giraud, le meilleur tueur à gages/hitman/mécanicien de la place, de l'accompagner dans son raid meurtrier.
J'avoue que je m'attendais à un polar français mou et chiant, mais finalement je ne regrette pas d'avoir cédé aux suppliques de Barracuda (il semble vouer un culte sordide à Sardou). Le film bénéficie du AAA, ce qui signifie en fait Acteur Auteurs Associés, boite qui visait à permettre à nos Auteurs de s'émanciper du joug des producteurs vénaux incapables de voir le génie véritable. Sauf que lorsqu'on regarde Cross, on comprend pourquoi un producteur digne de ce nom n'aurait jamais investi un kopek dedans. Premier indice : le film est dédié à Roger Corman (!).
En fait, Cross, c'est deux films en un. La première partie correspond à ce que j'ai décrit plus haut : on nous balance d'emblée Sardou comme le meilleur chien fou de la police et on est prié de le croire, le personnage ne sera d'ailleurs pas plus caractérisé que cela. On ne peut pas vraiment reprocher au chanteur préféré de Wonkley d'en faire trop niveau acting, car Michel choisit plutôt de tout garder en dedans, conservant le même regard blessé mais intransigeant quelle que soit la situation. Même la prise en otage de sa famille (avec une exécution sauvage dès le début) ne semble pas particulièrement l'affecter. Celle-ci fait basculer le film dans sa deuxième partie, celle où il ne se passe plus rien... Ce qui est dommage pour le spectateur car il ne se passait déjà rien dans la première !
En effet, on a alors droit à une longue, très longue, très très longue traque des méchants par notre duo flic et voyou dans un hôtel abandonné d'une superficie équivalant un département français, la nuit, histoire qu'on ne voit pas grand chose des maigres événements survenant (genre Sardou qui tombe dans un trou ou qui a peur de son reflet dans un miroir). Bah oui, malgré ce que laissait présager l'intro, Cross est un fait un gros nul qui se repose entièrement sur Roland Giraud pour dégommer du malade mental.
Faut les voir tous deux vêtus de cuir, testant leurs virilité mutuelle en se lançant dans des duels de punchlines minables dont une bonne partie repose sur le fait qu'ils ne sont pas pédés, leur tenue pouvant effectivement porter à confusion ("- essaie pas de m'enculer." "- ce ne serait pas un jeu dangereux... mais un jeu d'enfant !"). Je dois dire que malgré toute l'improbabilité de son personnage (ou grâce à elle), Roland Giraud est vraiment celui qui s'en sort le mieux. Il parvient à jouer le jeu à fond tout en conservant un recul évident qui lui permet de reste décontracté et blagueur, défouraillant avec bonne humeur. Son tueur professionnel est même clairement plus compétent que Cross qui semble impuissant face aux événements.
On pourrait également causer de la gamine de Cross (une mocheté à grosses lunettes dont la fraiche innocence cherche sans succès à faire vibrer la code émotionnelle du spectateur), l'ex-femme de Cross (Marie-Anne Chazel dans un rôle vraiment ingrat, dont on ne sait qu'elle s'est faite violer par son tortionnaire que parce qu'une lampe est renversée à côté de son lit) et le quatuor de malades mentaux, péché mignon du psychiatre que je suis. Interprétés à partir de représentations totalement fictives de ce que sont les troubles psychiatriques, ils hésitent entre le retard mental (ils sont bêtes), l'immaturité affective (ils parlent comme des enfants et suivent aveuglément leur libérateur comme une figure paternelle), la violence homicidaire (pour le fun), les tiraillements sexuels, variante frustration (le jeune puceau) ou perversion (le psychopathe obessionnel !), la crise de démence (y'en a un qui s'agite dans son lit en pleurant). De toutes façons, ils meurent tous, et c'est bien fait pour leur gueule, l'abolition du discernement n'existe pas dans le Code Pénal de Cross.
On a donc affaire à un nanar bien mineur qui ne parvient à maintenir l'intérêt de son spectateur qu'avec la participation inutile de Sardou au cinéma, la prestation délicieusement décalée de Giraud, les oufs malades à la ramasse et la foule de clichés habituels. En contrepartie, faut se fader 45 minutes de courses-poursuite nulle dans le noir. Mais pour les plus braves, la conclusion (et le petit panneau post-fin hyper ringard) vaut le coup d’œil.