Attention, SPOILERS. Cette critique dévoile des moments clés de l'intrigue.


Commençons par reconnaître à Cruella son ambition et sa générosité (qui se reflète dans la longueur même du métrage puisque le film dure plus de deux heures).


Le problème, c'est que tout est convenu. Le film enchaîne les rebondissements éculés, les poncifs fades, les grosses ficelles scénaristiques, les coups de théâtre vus et revus et c'est donc l'ennui qui guette le spectateur qui n'est pas dupe devant toutes ces facilités scénaristiques.


D'abord, la construction narrative du film est beaucoup trop classique. Le personnage commente sa vie en voix-off (avec une forme de décalage, de distance ironique assez convenue) en reprenant tout depuis l'enfance. On n'échappe donc pas au motif classique de l'enfance tourmentée, de la jeune fille maltraitée par ses camarades, marginalisée, pauvre (mais au bon coeur). On n'échape pas non plus au topos de la gentille petite famille (ici composée d'Estella/Cruella et de sa mère qu'on découvrira adoptive) unie dans l'adversité.


Le schéma narratif est donc classique et il reprend les thèmes de la "revanche sur la vie" et du "girlbossing" (thèmes qu'on retrouvait récemment dans Joy avec Jennifer Lawrence). Une jeune fille partie de rien doit faire son chemin pour devenir, au gré des difficultés et des obstacles jetés sur sa route, une femme puissante et impitoyable. Rien de nouveau sous le soleil donc.
Autre facilité (mais le sujet du film l'exigeait) : l'univers de la mode, déjà exploré brillamment dans le Diable s'habille en Prada (et ses émules) est une nouvelle fois exploité dans ce Cruella. On n'échappe évidemment pas au topos de la patronne tyrannique qui maltraite ses employés. Cela donne toutefois lieu à une magnifique débauche de costumes baroques (le gros point fort du film).
Mais ce qui m'a vraiment sorti du film, c'est le fait que tous les personnages soient liés. Pourquoi faut-il toujours que tous les personnages se connaissent, partagent un secret, aient un passé commun ou soient liés d'une manière ou d'une autre ? Ici, c'est la baronne qui a tué la mère (premier coup de théâtre) adoptive (deuxième coup de théâtre) de Cruella. J'ai eu le sentiment de me retrouver dans le second volet des Animaux fantastiques avec toutes ces séquences révélations ampoulées et mélodramatiques qui laissent le spectateur sceptique. La baronne ne pouvait-elle pas simplement être une patronne tyrannique, fallait-il absolument qu'elle fût la mère de Cruella ? La ficelle est trop grosse. Evidemment, pour que le spectateur puisse suivre, il y a le leitmotiv du collier rouge, au centre de l'intrigue.


Un autre problème, c'est l'incohérence des personnages. Naturellement, étant un bon spectateur, j'ai collaboré avec les scénaristes et j'ai accepté les codes du genre pour entrer dans le film (après tout, le logo Disney est bien là pour nous signifier que nous entrons dans un "conte de fées"). Mais rien ne justifie que la baronne mette en péril son statut de créatrice de mode puissante et influente et ne prenne le risque de se compromettre en tuant une femme venue simplement lui demander de l'argent ? Ne pouvait-elle pas simplement la congédier sans ménagement ? Fallait-il qu'elle l'assassinât ? A deux reprises dans le film, la baronne tente d'assassiner Cruella à visage découvert, sans prendre aucune précaution (c'est d'ailleurs ce qui causera sa perte). Dans le film des dalmatiens en prises de vue réelles, on comprenait bien les motivations de l'antagoniste : avoir un manteau en fourrure de dalmatiens. Et toutes les actions de Cruella étaient cohérentes (elle confiait les tâches risquées à ses subalternes et agissait dans l'ombre pour ne pas être compromise). Ici, les actions de la baronne (et son imprudence puisqu'elle tente d'assassiner des gens à plusieurs reprises) sont inconséquentes et disproportionnées. Elle est méchante parce qu'elle est méchante, c'est tout. On ne comprend ni pourquoi elle abandonne sa fille (par caprice, semble-t-il), ni pourquoi elle assassine une femme venue gâcher sa fête au lieu de la jeter dehors. Elle est juste méchante.


Du coup, par contraste, Cruella semble un agneau. Le bras de fer entre les deux Emma est sympathique à suivre, avec la séquence amusante des happenings organisées par Cruella pour voler la vedette à la baronne. Mais jamais Cruella ne semble embrasser sa folie et devenir la femme démoniaque que l'on connaît. Elle ne sombre pas dans la monstruosité à la fin du film. Tout au plus elle est un anti-héros (personnage très à la mode au cinéma américain et remis au goût du jour par le Joker). Seul moment audacieux et hilarant du film : quand la baronne voit Cruella en train de la narguer, vêtue d'une fourrure de dalmatiens et s'exclame "elle a tué mes chiens et s'en est fait un manteau" (évidemment, ça reste Disney donc il s'avère que le manteau n'était pas en fourrure de dalmatiens). En bref, Emma Watson nous fait du "Easy A".


Cruella n'est pas assez méchante, le contraste entre Estella et Cruella n'est pas assez saisissant. Pire, Cruella semble à plusieurs reprises fragile quand Estella semble parfois redoutable si bien que les deux personnalités se confondent souvent. Dans tous les cas, n'espérez pas retrouver une Cruella absolument démoniaque et folle à la fin du film. C'est là que la promesse est rompue : le film devait nous expliquer comment une jeune femme a priori normale allait basculer dans la folie pour devenir la méchante que l'on connaît. Il n'en est rien. A aucun moment Cruella ne bascule dans la folie, ni même ne devient véritablement "méchante". Elle prend simplement sa revanche sur la baronne et sur la vie.


Autre gros problème : la saturation de la bande son par des morceaux trop connus. L'objectif c'est de rester dans le thème du "girlbossing" : la jeune Estella doit devenir une Cruella pourrie et impitoyable, prête à tous les coups bas dans son bras de fer avec la baronne. Et il faut évidemment que le spectateur prenne faits et causes pour Cruella. Mais un morceau par scène, c'est juste agaçant, on se croirait dans un clip.


Enfin, j'ai noté quelques champs contre champs un peu particuliers (un dans le dialogue Cruella/Anita, un autre dans la première confrontation Cruella/baronne au bal) où la caméra semblait en décalage, décentrée. Mais je n'y connais rien, c'est peut-être un effet de style.
Dernier gros problème : le film est répétitif : scènes de défilés et de bals se succèdent durant près de deux heures. Il y a trois bals dans le film et plusieurs défilés/happenings de Cruella. C'est long.
En revanche, l'ambiance punk est réussie et le film est vraiment généreux, pétri de bonnes intentions. Notons aussi quelques easter eggs, comme quand Horace essaie une fourrure qui n'est pas sans rappeler celle portée par Glenn Close dans le film de 1996.

Bastien71
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le 31 mai 2021

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