"Pas si vieux que ça, puisque je tourne encore devant et derrière la caméra" : serait-ce le message implicite que nous adresse Clint Eastwood avec son Cry Macho ? Un ultime cocorico, voire un pied-de-nez à la Camarde ? Si oui, au regard du film, ce déni de l'extrême vieillesse est - de la part de qui restera, aussi bien comme acteur que comme réalisateur, un géant du cinéma - à la fois clairement pathétique et néanmoins émouvant.
Clint Eastwood a beau ruser avec elle et avec nous, la camoufler, s'illusionner (?), son extrême vieillesse saute aux yeux dès la première scène du film et reste présente à l'écran tout au long de ce road movie vaguement mâtiné de western. Cry Macho, bien qu'un peu mou des genoux, n'est d'ailleurs pas désagréable à regarder. À la réalisation, il y a quand même quelqu'un qui a encore beaucoup des mécanismes, du savoir-faire et de l'exigence de qualité d'un maître du cinéma. Malgré ça, il m'a été impossible d'entrer vraiment dans cette histoire de vieux papy, ex-dur-à-cuire-et-champion-de-rodéo, chargé par son dernier employeur texan de se rendre au Mexique et d'extirper des griffes de son ex-femme (plus ou moins liée à la mafia locale) son fils de 12-13 ans et de le lui ramener au Texas. Mon manque d'enthousiasme venait surtout de ce que j'avais en permanence devant les yeux l'image d'Eastwood dans sa quatre-vingt-onzième année et qu'il m'était impossible de ne pas remarquer sa démarche hésitante, la fragilité de tout son organisme, impossible de ne pas imaginer la pauvreté de vision de sa conduite, tandis qu'il circule, sans jamais porter de lunettes, au volant de son pick-up (et des autres véhicules d'occasion qu'il est ensuite contraint d'emprunter). Durant tout son périple Texas-Mexique-et-retour, on doute vraiment qu'il soit encore capable de réaliser pratiquement tout ce qu'on le voit faire à l'écran. Car enfin, alors qu'il flageole sur ses jambes et qu'il peine manifestement à se baisser, comment pourrait-il encore faire le coup de poing, dresser des chevaux sauvages que d'autres bien plus jeunes hésitent à débourrer, ou même plaire à une Mexicaine ayant, elle, guère plus de la cinquantaine ? Pardon de le dire crûment mais... il ne bande sûrement plus à son âge.
Même invraisemblable, l'histoire n'est pas mal photographiée, la lumière est jolie, les extérieurs se laissent regarder, les péripéties se succèdent à un rythme soutenu et la bande son agrémente agréablement le voyage. Le duo Clint Eastwood (le "moins vieux qu'il n'y paraît") / Eduardo Minett (le gosse des rues qui en a vu des vertes et des pas mûres mais qui garde un bon fond) fonctionne couci-couça et même pas si mal. Et le coq du gamin (qu'il a baptisé "Macho") réalise d'opportunes interventions. Je vous laisse découvrir comment l'histoire se termine (ça commence par un "c" et finit par un "o", en huit lettres).
On sait que le réalisateur avait le projet dans ses cartons depuis des lustres. Alors on se dit qu'avec un Clint Eastwood de 70-72 ans, on aurait accepté bien des scènes qui, vingt ans plus tard, deviennent quasi risibles.
Dans La Mule (2018) qu'il interprétait, Eastwood n'était pas ridicule et c'était un bon film. Autre bon film : le suivant (Le Cas Richard Jewell, 2019), dans lequel il s'abstenait sagement d'apparaître.
Pourquoi a-t-il tenu à se mettre en scène dans Cry Macho ? Par manque de lucidité, demi-sénilité ? Par bravade et déni de sa réalité d'aujourd'hui ? Ou, au contraire, pour témoigner de ce que le grand âge retire et inflige aux hommes, même à la virilité la plus incontestable... ce qui ferait sens pour le titre : Pleure, Macho (sur ce que tu es devenu) ?
Pour trancher entre ces interrogations, un revisionnage n'aurait pas été inutile ; je n'en ai pas eu le courage. Par contre, lors de la séance spéciale organisée pour la sortie en salles de Cry Macho, avait lieu la reprojection de Gran Torino et je l'ai énormément apprécié cette fois, beaucoup plus qu'il y a dix, douze ans. Et ça m'a complètement réconcilié avec le réalisateur. Sacré mec !