Quand une légende sent que le vent tourne et que le temps fait son œuvre, elle a toujours la possibilité d’en faire un sujet : c’est le moment du récit crépusculaire, qui revisite la grandeur d’antan et la colore d’une maturité nouvelle. Clint Eastwood l’a fait avec éclat avec Impitoyable, marche funèbre du western et panorama désenchanté des célébrités d’une époque à l’abri des lois.


Quand le crépuscule dure depuis 30 ans, la problématique se corse. Après être passée par l’hagiographie des figures populaires américaines, l’icône ne renonce toujours pas à se mettre en scène. La Mule réussissait partiellement le portrait d’un papi s’acoquinant avec des trafiquants de drogue, et voici que débarque Cry Macho, méta crépuscule de l’homme, de son cinéma et du cahier des charges du bon pilon à la sauce humaniste.


Eastwood sait sans doute à qui il s’adresse à travers son film, qui sera d’autant plus adulé par les idolâtres qu’ils ont de plus en plus ce sentiment de voir son dernier. Les fans salueront l’apparition encore émouvante d’une légende au regard toujours perçant, la presse mettra de côté son sens critique pour rejoindre, comme aux funérailles, le cortège des compliments respectueux.


Il suffirait pourtant de faire jouer le protagoniste par quelqu’un d’autre pour ouvrir les yeux : il n’y pas grand-chose à sauver dans cette historiette éculée de papi sitting, road trip au Mexique où un vieux au bout du parcours retrouve le sentiment de paternité (alors que fiston était mort), d’amour (alors que bobonne était morte) et de responsabilité (alors que le talent s’était évaporé dans l’alcool), le tout avec un ado en perdition, une veuve, des enfant sourds et des animaux blessés.


Un poncif n’est pas en soi un motif à critique : après tout, on raconte toujours un peu la même histoire, et la variation peut avoir son mérite, pour peu qu’elle soit incarnée avec talent ou sincérité. Ici, c’est surtout l’embarras qui l’emporte. On soupire face à un gamin explicitant à voix haute et avec des phrases interdites aux plus de 8 ans tous les enjeux à l’écran, on s’irrite de ficelles scénaristiques grossières (une vilaine maman, un papa vénal mais pas si méchant que ça, une impasse mexicaine dont on s’extirpe grâce à un coq), et on lève les yeux au plafond devant une romance entre notre cowboy et une aubergiste pas très regardante sur la différence d’âge, en se rappelant qu’à Hollywood, une femme de 52 ans joue effectivement, aux yeux des producteurs, dans la catégorie des nonagénaires.


La mise en scène d’une platitude manifeste (certain y verront sans doute la sobriété du vieux sage) nous convoque toute l’esthétique des clips bon marchés, avec lumière du soir, voitures décaties et ambiance vintage, car nous sommes en 1979, un temps d’avant où l’utopie d’une petite vie familiale improvisée de l’autre côté de la frontière pouvait apparemment s’envisager sans anicroche. Mais le temps ne fait rien à l’affaire : ni cette fausse nostalgie, ni cette posture de vieux sage ne sauront insuffler à cette bluette l’âme dont elle manque cruellement.

Sergent_Pepper
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le 10 nov. 2021

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Sergent_Pepper

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