"Il y a une grande différence entre ce que tu ressens, et l'image que tu donnes de toi."

Ayant lu et aimé le roman éponyme de Delphine de Vigan, j’attendais cette adaptation au tournant qu’importe le réalisateur qui allait s’y frotter. En évinçant les affaires tournants autour du réalisateur, je connais peu la filmographie de Polanski hormis La Neuvième Porte et Le Pianiste. Je ne jugerais que le film en soi.


Histoire d’une amitié ambiguë et toxique entre deux femmes, le bagage d’origine avait un potentiel énorme pour un film sympathique.


Pourtant, le film se rate.


Mais j'y vois déjà deux qualités.


Bien que je ne l’ai pas trouvé au mieux de sa forme et que ce personnage ne lui nécessite pas vraiment d’effort, j’ai trouvé la prestation d'Eva Green tout à fait correct. Bien que c’est pas le physique que j’aurai imaginé pour Elle à la lecture, la réappropriation du personnage reste assez fidèle dans certaines de ses répliques et ses actions.
La seconde qualité est au niveau de la mise en scène particulièrement au niveau des lumières et de la prise de vue.
Etant face à un film psychologique évoluant dans un environnement réaliste et peut-être connu pour les parisiens, il est important de savoir filmer des détails anodins du quotidien des personnages afin de cerner leurs buts et leurs caractères. Et ce film joue très bien dessus. J’ai adoré les passages où on est immergé dans le quotidien de notre héroïne écrivaine : qui écrit sur des carnets, prends des notes sur des post-it, allume son ordinateur, écrit ou au contraire frissonne devant son clavier selon les moments de doute. Le cadrage reste dynamique dans l’ensemble. Polanski, à l’image de son couple d’héroïnes, joue beaucoup sur la dualité des cadres. On retrouve beaucoup de moments discrets mais appréciables sur ce thème : le moment où Elle s’installe chez Delphine, où elles se retrouvent dos à dos durant la scène de discussion dans la chambre ; la discrète métamorphose d’Elle en Delphine qui porte peu à peu le même style vestimentaire que l’héroïne ou encore quand elles ferment en même temps leurs portes de chambre, filmés dans un même cadre. C’est discret mais plaisant. La lumière est naturel, met en valeurs ces héroïnes réalistes.


Mais les défauts sont malheureusement trop nombreux pour qu'on apprécie vraiment l'ensemble. Le premier c'est Delphine, l’héroïne principale.
Je n’ai pas eu l’occasion de visionner beaucoup de films avec Emmanuelle Seigner à part Dans la maison, film de François D’Ozon que j’avais moyennement apprécié. Du coup, je ne peux pas trop juger ses talents d’actrice dans son ensemble mais pour ce film elle m’a très moyennement convaincue. Mais toujours est-il que Delphine est une héroïne à laquelle on n’attache aucune importance. Elle n’arrive ni à nous émouvoir, nous à nous attendrir…son sort nous importe peu. Du coup, toute son histoire malgré sa relation de couple et son attachement envers ses enfants ne nous semble pas crédible et encore moins intéressante. Plate, réagissant comme une adulte en crise de la quarantaine, on perd beaucoup au changement par rapport au livre d’origine. Le film ne nous laisse pas le temps de comprendre ses angoisses de façon plus approfondie, ni ses doutes, ni son soudain attachement pour Elle tellement qu’on nous donne peu d’éléments d’explications sur son passé et ses aspirations futures.


Ensuite, je reproche aussi le parti pris de narration choisi par le réalisateur.


Quand on lit le roman, l’héroïne nous prend déjà à parti dès les premières pages en nous soulignant bien que cette histoire n’est pas vraiment la sienne. Elle tente à travers ce récit se reconstruire après une période difficile. Elle nous met en garde sur le personnage d’Elle tout en insistant sur le charisme énigmatique et aussi sa cruauté imprévisible. Tout en décrivant soigneusement les différents événements : de sa rencontre à la soirée en passant par les nombreux rendez-vous dans le café et leur cohabitation dans l’appartement, le lecteur est toujours au plus proche de l’héroïne car tout nous ai offert à travers son regard direct et indirect sur les différentes scènes, tel un narrateur omniscient. Et c’est ce qui nous permet, nous lecteurs, de comprendre comment elle s’est faite manipuler, pourquoi elle est fragile psychologiquement au début de sa rencontre avec Elle, comment l’emprise de celle-ci s’installe peu à peu. Bien qu’on soit prévenus à chaque chapitre, le lecteur se laisse aussi berner car la description des scènes fait qu’on arrive quand même à croire en cette amitié en apparence saine.


De part son support, le livre prend plus le temps d’installer les enjeux. Ici le film va trop vite et surtout à commis l’erreur, selon moi d’adopter une façon trop classique de raconter cette mésaventure, en partant du fait que le spectateur ne connait pas le livre d’origine. Qu’il découvre en même temps que Delphine le sombre de personnage de Elle. Sauf que ça ne marche pas à la fois pour le connaisseur du roman comme moi ( connaissant déjà tous les événements avant) qui ne sera nullement surpris restant en marge du film et le spectateur qui découvre l’histoire de façon brute mais qui ne comprendra pas pourquoi l’héroïne est si naïve car le passé de Delphine est vite expédiée.


Une voix off aurait permis de décrire la douleur qu’a ressenti Delphine face à cette attaque et pourquoi par la suite elle a accepté une soirée avec une amie de longue date pour se changer les idées. D’ailleurs, le livre permet aussi de réfléchir sur l’évolution des liens d’amitiés à l’âge adulte, pourquoi Delphine se protège mais en même temps cherche à retrouver ces liens qu’elle avait quand elle était adolescente, ce que le film oublie totalement et ne permet pas encore une fois de donner plus d’épaisseurs à l’héroïne. Ici les anciennes amies de Delphine sont totalement absentes et même que ses enfants, manquant ainsi la dimension psychologique indispensable pour ce type d’héroïne.


Enfin, la gestion du suspense est vraiment mauvaise.


Loin d’être un thriller, on reste dans un film psychologique qui veut offrir au spectateur un dénouement incertain grâce à la gestion du suspense : comment Delphine va pouvoir sortir de cette relation toxique ? Mais le film, trop classique dans sa mise en scène, joue vainement sur une musique d’ambiance un peu frissonnante vers la fin quand l’histoire se resserre de plus en plus sur un huit-clos. Le reste du temps tout est prévisible car les événements sont accélérés au détriment d’une mise en scène qui aurait pu prendre son temps pour développer la notion de manque, de dépendance de Delphine vis-à-vis de Elle, de prolonger la fascination pour cette femme.


Conclusion


Adaptation décevante, le film reste trop classique dans sa mise en scène pour être mémorable. La tension entre l’écrivaine et sa nouvelle amie est très peu mise en valeur et contrecarrée par le jeu juste mais peu inspiré d’Eva Green. Point de fièvre érotique non plus dans les rapports entre les deux femmes qui permettait un rajout de mystère. Et il vaut mieux passer sous silence les seconds rôles comme celui de Vincent Perez, inutile à l’intrigue, il faisait presque de la peine. D’après une histoire vraie n’est pas un désastre total parce que les actrices semblent y mettre du cœur dans leurs jeux malgré des dialogues parfois ridicules. Mais le tout n'est pas à la hauteur de l'intrigue qui méritait un meilleur rendu et pouvait inviter à une prise de risque intéressante


Tournez-vite vers le roman d’origine pour mieux apprécier cette oeuvre !

AudreyAnzu
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le 25 nov. 2017

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AudreyAnzu

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