Dans l'eau ... Qui fait des bulles
Le Garde champêtre mène l'enquête
Le Poisson sifflera trois fois

3 titres: un film !


Mais un film révélateur, ô combien !, à plus d'un titre pour votre estimé serviteur qui l'a souvent estimé de différentes manières.
Ce ne sera pas là l'analyse, le ressenti, la réaction dus à ce film, pas plus que le récit érudit de sa genèse (quoique naturellement, pour une part, inspiré de ce dernier qui est l'une de ses sources). Non, ce sera, une esquisse de notation, la narration des tâtonnements, du cheminement dans l'approche d'un film assez étrange et pourtant si simple et si banal. Ce sera une tranche de vie exemplaire de cinéphile, un Pour des Mémoires d'un cinéphile.
Avis donc aux badauds qui voudraient connaître la valeur du film en soi de s'adresser ailleurs: ici, l'on s'en sert pour illustrer la vie d'un film dans la vie d'un homme, et le ridicule qu'il y a à noter de façon définitive ou à vouloir cibler un public, et un seul, lorsque livre aux spectateurs et aux lecteurs une oeuvre. Avis à vous, amis aficionados de l'esthétique de la réception: lisez donc, vous apprendrez peut-être quelque chose et vous endormirez moins brutes ce soir;


Qui, enfant, n'a pas aimé Louis de Funès ?
N'était les adeptes du rejet de ce que l'on nomme le "franchouillard" avec une condescendance méritant au moins une égale condescendance, n'était les French Childs biberonnés à l'américaine (pardon à mon ami Guillaume, un garçon charmant, à qui il ne manque que le goût des comédies de notre terroir !), personne n'a pu ignorer ou haïr le fameux interprète de Ludovic Cruchot et du Commissaire Juve.
Quels films de De Funès avons-nous vus enfants ?
Votre serviteur a commencé avec L'Aile ou la Cuisse, mais nous avons tous vu d'abord un De Funès de l'âge d'or. Souvent la "satire sociale dont le personnage central est joué par De Funès, en plus y'a des extra-terrestres". Rares sont ceux qui auront commencé, consciemment, par un film de l'âge des caméos, du type Boniface somnambule ou Les Loups chassent la nuit ou de l'âge des Grands débuts comme Ah! Les belles bacchantes ou, justement, Le Garde champêtre mène l'enquête/Dans l'eau ...Qui fait des bullles/Le Poisson sifflera trois fois.


Quand, nourri à L'Aile ou la Cuisse, Les Grandes vacances, les Gendarmes, Rabbi Jacob, La Zizanie, La Grande vadrouille, Le Corniaud, Hibernatus, et autres chef-d'oeuvres inénarrables, dans ma prime jeunesse donc, j'approchai ce film pour la première fois, il s'appelait Le Garde champêtre mène l'enquête. C'était un après-midi férié, ce devait être M6 en manque d'inspiration ou en période "cabinet de curiosités", et il y avait De Funès ! Pourquoi donc se priver d'une découverte d'un nouveau tour de manège au côté du Roi Louis ?
Le Garde champêtre mène l'enquête fut pour cet enfant une grande déception: comment, si peu de De Funès à l'écran ? Un film macabre porté par un jeu si antique ? Des dialogues que tantôt je comprenais bien, tantôt je n'entendais guère ? Il ne me restait que le goût d'un film policier glauque où s'était perdu le grand Louis. Seule scène me restant réellement, l'apparition spectrale du mort vindicatif et accusateur, digne des tableaux cauchemardesque d'un Belle et la Bête de Cocteau que je n'avais pas encore vu et qui, à en suivre la réaction d'élèves de seconde auxquels le film a été diffusé par mes soins, n'aurait pas eu le loisir de me plaire non plus. J'étais enfant, sans doute un peu idiot, attiré par le granguignolesque et l'action facile, en manque d'éveil et de bagages culturels.


Pourtant, sans les acquérir, cette scène traumatisante m'était devenue familière, et le goût d'un trait grossier et de la caricature m'avaient apporté un éclairage important: le mort accusateur n'était en réalité pas très inquiétant mais du plus grand comique. L'interprétation sur-jouée de Bernard Quatrehomme, le corps, et de Philippe Clay, la conscience, était en réalité la parodie outrancière des films horrifiques. Cette fois, ça y était, Le Garde champêtre devenait dans mon esprit un Scary Movie des années 60. Que l'on pardonne, si l'on le peut et veut, les référence d'un jeune cinéphile lâché dans un monde d'images et de bruit où les chef-d'oeuvres côtoient les excréments, décorés d'une même médaille, le plaisir (même coupable) ayant autant sinon plus d'attraits que la recherche d'une véritable beauté esthétique, sémiotique et parolière.
Métamorphosé sous ce nouveau regard, Le Garde champêtre mène l'enquête gagnait en humour à mes yeux et son final zutique, qui m'avait totalement échappé plus jeune, avait cette fois retenu mon attention.


Pendant un long, nous prîmes, le film et moi, des chemins différents.
De Funès, si je le suivais toujours, était de l'histoire ancienne et je lui préférais de loin le fringuant Bond, James Bond. Cela n'a pas empêcher les deux de se croiser, De Funès ayant été, bien avant moi, un grand admirateur de l'espion et y ayant fait souvent référence dans Fantômas se déchaîne, Le Petit Baigneur, Le Gendarme et les Gendarmettes. Parfois même, des liens ténus les rapprochaient comme le film d'espionnage Les Loups chassent la nuit qui réunissait le sommelier Louis De Funès, alias le futur Septime, et le tueur John Kitzmiller, alias le prochain Quarrel de Dr No.


Et depuis peu, mon frère traquait les vieux vieux films mettant De Funès en scène et mon père et moi avons développé l'habitude de regarder, quand cela s'arrange, des films de ce genre.
C'est ainsi que mon frère nous recommanda Dans l'eau... Qui fait des bulles, un vieux De Funès méconnu qui m'était pourtant si familier ... L'inquiétante étrangeté de la chose m'interpelant, je reconnus assez vite mon Garde champêtre mène l'enquête tout en le redécouvrant sous un jour nouveau.
D'abord, il y avait cette voix de Philippe Clay, une de ces voix de narrateur qui confère immédiatement une aura de grand classique, de film mythique tant elles sont et solennelle et capable de varier sur les tons. Cette voix qui illustre si bien ce beau commentaire de Chateaubriand au sujet de l'énonciation de ses Mémoires d'outre-tombe: "*Je préfère parler du fond de mon cercueil;ma narration sera accompagnée de ces voix qui ont quelque chose de sacré, parce qu'elles sortent du sépulcre".
Ajoutez à cela le comique caustique de Dufilho, que je ne pouvais goûter jeune et qui est devenu un point fort pour le spectateur adulte. Associez à cela peut-être aussi le plaisir d'un casting plus familier à présent, ne se limitant plus à Louis De Funès seul.
Ensuite, ma connaissance s'étant élargi depuis lors, Dans l'eau...Qui fait des bulles m'est apparu non pas comme Le Garde champêtre mène l'enquête mais comme une sorte de Trouble with Harry à la française, assez passionnant.


Ce qui fait que j'ai boudé Le Garde champêtre mène l'enquête, j'ai plutôt apprécié Dans l'eau...Qui fait des bulles et j'adore Trouble with Jean-Louis: tout est une question de titre!
Et de titres, comme les nobles non méritant fustigés par La Rochefoucauld, ce film en fait collection ! Adapté du roman La Chair à poissons, il a été distribué sous les noms de Dans l'eau...Qui fait des bulles, Le Garde champêtre mène l'enquête, Le Poisson sifflera trois fois et même l'intraduisible titre allemand Louis ... Die Schnatternschnauze (le fort en gueule, Louis la rouspette, etc ?). Reste que Dans l'eau...Qui fait des bulles est le titre le plus efficace et le premier utilisé au sujet de ce film.
Et le spectateur monomaniaque, voulant répondre à ce juste questionnement, aura, à l'heure où l'on écrit ces lignes, bien du mal à comprendre la cause de cette pléthore de titres en pagaille. C'est pourtant un témoignage de Louis De Funès lui-même, indigné et en colère, retranscrit ou archivé qui mettra fin à ce macabre suspens et qui en révélera plus qu'on ne le penserait.
Car, Dans l'eau...Qui fait des bulles est l'un des films victimes des distributeurs qui se léchaient les babines à l'annonce des scores des premiers films de l'âge d'or defunèssienne, Le Gendarme de St-Tropez, Le Corniaud et Fantômas. Vous savez, ces films dont René Chateau reprend les affiches trompeuses annonçant un film de l'âge d'or pour vendre un film de l'âge des caméos et apparitions furtives ?
Mais, pour finir, laissons plutôt la parole à Louis De Funès: « Ils viennent de ressortir ''Le garde-champêtre mène l’enquête'' que j’ai tourné il y a dix ans, sous le titre ''Dans l’eau... qui fait des bulles !'', et où je n’ai qu’un rôle de cinq minutes, en mettant sur la bande publicitaire ''Funès dans Le garde-champêtre mène l’enquête''. Vous vous rendez compte ? Il y a eu sept mille entrées à Nantes. Autant de spectateurs trompés ! ».


Dans l'eau...Qui fait des bulles ou le Da Funes Code !

Frenhofer
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le 25 nov. 2018

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