Dans cette grande famille dysfonctionnelle qu’est le cinéma des années 80-90, Dark Angel (ou I Come in Peace, pour ceux qui aiment les titres mensongers) serait un cousin un peu simple, passionné de musculation et de pyrotechnie, qui débarque à Noël en fracassant la porte à coups d’épaule. Réalisé en 1990 par Craig R. Baxley, cascadeur devenu metteur en scène de cinéma d’action, le film se présente comme un croisement improbable entre L'Arme Fatale, Predator et un clip de Megadeth mal monté. Un film qui n’a pas vraiment peur du ridicule, parce qu’il n’a pas conscience de le frôler en permanence.
Dolph Lundgren, mètre quatre-vingt-dix de flegme et de testostérone peroxydée, campe ici Jack Caine, un flic rebelle de Houston – "rebelle" dans le sens où il ne respecte pas les ordres, ni les lois de la balistique – lancé aux trousses d’un trafiquant de drogue, jusqu’à ce que l’affaire prenne un virage galactique. En effet, un extraterrestre musclé, armé d’un arsenal tout droit sorti d’un salon techno de Düsseldorf, débarque sur Terre pour extraire des endorphines humaines et les revendre sous forme de drogue cosmique. Le pitch, disons-le, est assez génial dans sa bêtise assumée. On est à mi-chemin entre le nanar et la série B ambitieuse, entre le mauvais goût et la sincérité.
Il faut reconnaître à Dark Angel une forme de franchise : dès la première scène, le film annonce ses couleurs – néon criardes, voitures qui explosent sans raison, punchlines monolithiques. Ce n’est pas du cinéma d’action réaliste, ni même crédible : c’est une sorte de cartoon live où tout est plus grand, plus bruyant, plus absurde. Baxley met en scène les poursuites comme des démos techniques destinées à tester la résistance des pare-brise. Chaque baston est un prétexte à pulvériser des décors, à ralentir des explosions, à faire voltiger des corps comme des mannequins de crash test. Et à ce jeu-là, il faut bien l’admettre : le film est efficace. L’énergie est là, les effets pratiques sont généreux, et certains gadgets du méchant alien ont un charme désuet plutôt savoureux – notamment ce disque en métal qui tue en zigzaguant comme une abeille énervée.
Mais cette générosité visuelle masque mal les faiblesses structurelles du film. Le scénario tient sur un chewing-gum mâché, avec des dialogues qui semblent avoir été écrits à la pause café d’un scénariste de sitcom. Le duo Lundgren–Benben (flic musclé vs agent fédéral coincé) est censé fonctionner sur le ressort classique du "buddy movie", mais l’alchimie est minimale, souvent remplacée par des engueulades mécaniques ou des regards vides entre deux explosions. Quant au rythme, il s’essouffle assez vite, prisonnier d’un schéma répétitif : enquête, attaque de l’alien, blague de flic, explosion, repeat.
On sent parfois le film tiraillé entre son envie d’en mettre plein la vue et son manque flagrant de moyens ou de vision. Certaines scènes semblent improvisées, d’autres recyclées d’un autre film (ou d’un cauchemar sous stéroïdes). Le méchant, sorte de croisement entre Terminator et un DJ gothique, est charismatique à sa manière, mais désespérément unidimensionnel. Il ne parle pas, ou presque, si ce n’est pour prononcer sa réplique fétiche : “I come in peace” – ce qui, à force, devient involontairement hilarant. Difficile de savoir si le film croit à ce qu’il raconte, ou s’il plaisante à moitié. Et c’est peut-être là son plus grand défaut : il est trop bête pour être malin, mais trop sérieux pour être vraiment drôle.
Cela dit, Dark Angel possède une qualité rare : il ne triche pas. Il ne cherche pas à nous faire croire qu’il est autre chose qu’un film d’action bourrin mâtiné de science-fiction bas-de-gamme. Il ne cache pas son amour des clichés, ni sa fascination pour les flingues, les grosses bagnoles et les héros solitaires au grand cœur (mais avec un très petit spectre émotionnel). Il se regarde comme une relique d’un temps où les scénarios importaient moins que le bruit qu’on faisait en les filmant.
En somme, Dark Angel n’est ni une réussite, ni un désastre : c’est un plaisir paradoxal, un film qui échoue à être bon mais réussit à être regardable, voire attachant, à condition de désactiver tout sens critique pendant 90 minutes. On ne l’aime pas pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il ose être : un objet filmique venu d’un autre temps, pas très malin, pas très raffiné, mais joyeusement sincère dans son chaos.
Et après tout, qui peut résister à un extraterrestre dealer de drogues endorphiniques armé d’un lance-CD mortel ? Certainement pas moi.