Préparez-vous à pénétrer un monde saturé de pénombres, un univers où il fait toujours nuit, une ville lugubre où étrangement personne ne semble chercher de lumière, ni à franchir les frontières, ni même de se souvenir comment partir. Les souvenirs sont toujours flous...On s'en rappelle, mais c'est comme une image, une image dans tout ce qu'elle a de plus froid, de plus mort.


Dark City, ce n'est pas seulement un univers (réussi). C'est une histoire. L'histoire de cet homme qui se réveille amnésique, entouré de corps inertes, qu'il a manifestement tués auparavant. On l'accuse d'être un serial-killer, mais il ne s'en sent pas du tout l'âme.. Est-ce possible? Et puis, il y a ce docteur qui prétend tout savoir sur les raisons de son amnésie, et son passé, son identité. Et il y a ce pouvoir bizarre qu'il a de modifier la matière en se concentrant un peu. Et puis, ces gens avec des chapeaux qui le suivent constamment..


Je dois dire que j'ai été bluffé par toute la mise en place de l'univers et de la narration, les deux étant ingénieusement liés. Plus on en sait à propos de l'histoire Murdoch, plus on en sait sur l'histoire de cette ville colonisée par des extraterrestres. L'intrigue est originale dans l'univers de la science-fiction: cette fois les extra-terrestres ne souhaitent pas forcément détruire les humains; ils veulent d'abord les comprendre, cerner le fonctionnement de leur "âme", pour ensuite prendre leur place. Pour ça, ils se lancent dans leur "étude". Moduler leurs chemins de vie en jouant avec leurs souvenirs, interchangeant les passés des gens pour voir si, au fond, ce qui fait leur individualité est leur histoire, leur environnement, ou quelque chose d'intrinsèque, quelque chose qui ressemblerait à une essence individuelle et unique. L'âme humaine, mystère ultime pour ces extraterrestres, mais finalement aussi pour les spectateurs, qui sont invités à y réfléchir plutôt profondément à travers ce monde dystopique.


Dark City c'est l'essence même du genre de la science-fiction; qu'on a tendance à oublier d'ailleurs. La science-fiction est un genre avant tout social et humain. Elle permet l'introspection à travers le regard extérieur d'êtres imaginés. Des sociétés futuristes, d'accord. Mais elles doivent avant tout avoir un écho avec la société dans laquelle on vit aujourd'hui. Un écho qui révèle, qui rend, peut-être, plus limpide à nos yeux certains aspects de nos vies. Ici on évoque la perception de la réalité. Le film m'a d'ailleurs souvent fait penser à l'allégorie de la Caverne de Platon. Si on n'a aucune idée de l'ailleurs ou de l'alternative, ou même de l'éventualité d'un ailleurs, on se satisfait de l'ici, du présent. On ne questionne pas, instinctivement. On s'embourbe dans nos routines. Même les doutes les plus évidents ne viennent pas à l'esprit. Et si la Vérité éclate, certains on du mal à le supporter (ce détective qui avait découvert la supercherie et l'étendue de leur esclavage, de la liberté dont ils étaient constamment privés, de la fatalité de sa situation, s'est donné la mort). Une deuxième lecture est possible et elle fait froid dans le dos. Cette société peut très bien être la nôtre. La toute-puissance d'un système, qui se sert de sa non-visibilité pour tout contrôler, est tout à fait crédible et contemporain.


En revanche, sur le plan strictement cinématographique, je trouve que la fin est quelque peu ratée. Elle met en lumière les lacunes techniques, avec des effets spéciaux un peu dépassés. Mais surtout, elle tombe dans le conventionnel, le larmoyant, et le bon sentiment. Elle ponctue de la pire des manières un film qui est, autrement, un modèle de cinéma de science-fiction.

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le 28 juin 2015

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