Détrompez-vous. Spider-Man n'est pas le premier film Marvel de Sam Raimi. Ou il pourrait ne pas l'être. Réecrivons l'histoire.


A la fin des années 1980, Sam Raimi est l'un des princes du film de genre, de l'horreur qu'il mélange parfois avec de l'humour. Mais comme la plupart des réalisateurs, il désire Hollywood, il veut s'imposer, sans renier son identité. Passionné de culture populaire, il pressent qu'il pourra trouver satisfaction à ses désirs en adaptant une figure super-héroïque. Les comics-books se vendent alors par millions et le film de Tim Burton sur Batman sera un succès.


Les droits de Batman lui ont échappé, et personne n'ose répondre à sa demande concernant ceux de The Shadow. Le film se fera en 1994 par Russell Mulcahy, bien loin de ce qu'aurait pu en faire Sam Raimi. Car ce qui l'intéresse alors est cette figure du justicier, du vigilante, de cette figure du héros et victime malgré lui, qui va se révolter contre ce qu'il juge inique. Cette figure urbaine, il la veut en contradiction avec celle de ses Evil Dead, avant tout horriblement forestière, ou l'inverse, c'est moche pareil.


Mais il ne la trouve pas. Il se penche alors auprès de Marvel, qui n'a pas encore fait sa crise adolescence telle que le fera DC avec The Watchmen et The Dark Knight Returns, mais qui possède un vivier de personnages. Spider-Man est alors le personnage préféré de Sam Raimi, qui a grandi avec. Le personnage n'a pas la violence d'un vigilante, mais il est un victime aussi et la ville est un élément important de son histoire. Malheureusement les droits sont réservés par Cannon Films, avant qu'ils ne s'échangent de mains en mains pendant 15 ans. Et au début des années 2000, Columbia Films se rappellera de l’enthousiasme du réalisateur pour l'homme araignée.


A la fin des années 1980, donc, Sam Raimi ne trouve pas de figures à adapter. Celles qu'il désire sont toutes réservées. Marvel Comics, qui voit bien que le film de Cannon Films ne cesse de se prendre les pieds dans le tapis, propose un arrangement au réalisateur, en lui proposant d'adapter l'histoire du premier super-vilain de Spider-Man, le Caméléon, sans que le héros à la toile n'apparaisse. Il s'agit alors de forcer la main aux studios Cannon de concrétiser le projet, permettant de plus à Sam Raimi de récupérer le poste de réalisateur.


L'histoire de Darkman évite toute référence directe, pour ne garder qu'un élément central, celui de masques. Mais rien qui ne permette pas, par la suite, de rattacher le film à l'univers de Spider-Man.


Exit donc Dmitri Smerdiakov pour Peyton Westlake, un scientifique qui mène des recherches sur la production d'une peau artificielle. Incarné par Liam Neeson, il aime Julie Hastings qui est jouée par Frances McDormand. Cette avocate découvre des pots-de-vin d'une grande compagnie, et celle-ci, en voulant récupérer le document qui en témoigne, blessera et défigurera Peyton Westlake, le laissant pour mort. N'étant plus identifiable, l'hôpital se sert de lui comme cobaye, pour un traitement empêchant de ressentir la douleur. L'un des effets secondaires étant que le patient ressente encore plus vivement les émotions. Parvenant à s'enfuir, Peyton va lutter contre la folie pour tenter de retrouver un peu de lui-même, ce qui passe par la vengeance. Il va alors utiliser son ancienne technologie pour semer la pagaille parmi ceux qui avaient tenté de le tuer, en reprenant leur identité.


Darkman est alors un film sombre. Le succès de Batman a prouvé qu'il était possible de représenter l'univers des supers-héros de façon plus ténébreuse, Sam Raimi accentue le trait en utilisant son expérience de cinéaste de films d'horreurs. Il utilise différents effets pour souligner la précarité de la santé mentale du "héros", tandis que son maquillage ou son accoutrement le font plus ressembler à une créature malsaine que positive. Tout comme pour Batman, l'architecture de la ville tient une grande place, de ses égouts ou de cette usine abandonnée qui sert de QG à cette ville magnifiée, incarnée par un projet immobilier aux bonnes intentions mais aux mauvaises actions.


La comparaison ne s'arrête pas là, puisque Danny Elfman est embauché pour composer la musique. Si la bande-son a beaucoup fait pour la réception du film à sa sortie, pourtant il faut reconnaître que celle-ci a vieilli, et semble redondante face à celle du film de Tim Burton. C'est un peu le regret de ce film, celui d'avoir vieilli sur de nombreux aspects, et notamment son aspect visuel, certains effets spéciaux sonnant faux. La bisbille avec le directeur de la photographie et Sam Raimi a probablement dû jouer, certains des décors n'ayant pas le pouvoir d'évocation attendu.


C'est d'autant plus dommage que le film démontre une certaine intelligence, prouvant que Sam Raimi n'est pas qu'un faiseur de films de genres. Son personnage principal est ambigu, déstabilisé, ce n'est pas le héros que l'on peut attendre. Ash d'Evil Dead était la victime d'un environnement maléfique, qu'il surpassait par sa détermination et son courage. Darkman est une victime presqu'involontaire d'un monde corrompu, dont il semble vouloir la vengeance par dépit. Le film n'est d'ailleurs pas loin d'affirmer que la relation amoureuse qui unissait Peyton et Julie est dangereuse l'un pour l'autre, et parmi les sous-thèmes de ce film cette histoire d'amour est alors forcément tragique.


Autant de raisons qui distinguent Darkman de bon nombre de films, mais qui enveniment les relations entre Sam Raimi et ses partenaires. Les projections tests sont mauvaises, les dirigeants d'Universal Pictures sont à de nombreuses reprises tentés d'annuler le projet. Peut-être cela aurait-il été fait si le réalisateur n'avait protégé son film en utilisant en amont le marketing pour intriguer le public. Le film sortira et se vendra suffisamment bien pour que deux suites soient produites, cette fois ci sans Sam Raimi, celui-ci tentant de démêler le sac de noeuds juridiques empêchant la sortie d'Evil Dead 3.


Quant à Marvel, on ne peut pas dire qu'ils ont été très enthousiastes vis-à-vis du résultat. Le film n'empêche en rien de le relier à l'univers de Spider-Man par la suite, le personnage principal étant à rien de basculer dans une folie qui permettrait de le transformer en vilain, tandis qu'il n'est jamais baptisé comme le "Darkman", et aurait très bien pu se rebaptiser le Caméléon par la suite. Mais son étrangeté et sa violence effraient la compagnie, qui décide qu'il ne s'agit en rien d'un film utilisant son univers. Le film Spider-Man hocquettera donc pendant encore dix ans, avant que l'expérience de Sam Raimi sur Darkman et son intérêt pour le film du héros de Stan Lee ne lui permette d'être choisi pour le réalisateur, et de faire avancer le projet enfin sur la bonne direction. Darkman est lui, depuis, resté dans l'ombre.


(Bien sur, certains des éléments biographiques fournis sont vrais, d'autres sont faux. Mais ce serait bien triste de ma part de vous révéler ce qui l'est ou pas.)

SimplySmackkk
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Mon p'tit cahier de citations : le cinéma

Créée

le 27 déc. 2015

Critique lue 2.1K fois

18 j'aime

2 commentaires

SimplySmackkk

Écrit par

Critique lue 2.1K fois

18
2

D'autres avis sur Darkman

Darkman
SimplySmackkk
7

La (presque) vraie histoire de Darkman

Détrompez-vous. Spider-Man n'est pas le premier film Marvel de Sam Raimi. Ou il pourrait ne pas l'être. Réecrivons l'histoire. A la fin des années 1980, Sam Raimi est l'un des princes du film de...

le 27 déc. 2015

18 j'aime

2

Darkman
HITMAN
7

Dark Attitude.

Entre les deux Evil Dead (Evil Dead 2 & Evil Dead 3 : L'Armée des ténèbres), le cinéaste Sam Raimi (Mort sur le grill, Jusqu'en enfer) écrit, produit (Renaissance Pictures) et réalise un film de...

le 17 janv. 2017

15 j'aime

3

Darkman
Libellool
8

L'imprimante 3D avant l'heure

Avec Darkman, Sam Raimi agite vigoureusement son shaker pour nous servir un mélange entre La Belle et la Bête, L'Homme invisible, La Momie et Robocop (pour l'insensibilité des méchants technocrates...

le 9 févr. 2014

12 j'aime

11

Du même critique

Calmos
SimplySmackkk
8

Calmos x Bertrand Blier

La Culture est belle car tentaculaire. Elle nous permet de rebondir d’oeuvre en oeuvre. Il y a des liens partout. On peut découvrir un cinéaste en partant d’autre chose qu’un film. Je ne connaissais...

le 2 avr. 2020

49 j'aime

13

Scott Pilgrim
SimplySmackkk
8

We are Sex Bob-Omb and we are here to make you think about death and get sad and stuff!

Le film adaptant le comic-book culte de Brian aura pris son temps avant d'arriver en France, quatre mois après sa sortie aux Etats-Unis tandis que le Blu-Ray est déjà sur les rayons. Pourquoi tant de...

le 5 janv. 2011

44 j'aime

12

The King's Man - Première Mission
SimplySmackkk
7

Kingsman : Le Commencement, retour heureux

En 2015, adaptant le comic-book de Mark Millar, Matthew Vaughn signe avec le premier KingsMan: Services secrets une belle réussite, mêlant une certaine élégance anglaise infusée dans un film aux...

le 30 déc. 2021

39 j'aime

12