Tout de suite après la sortie triomphale du chef d’œuvre de Truman Capote, la question de l’adaptation se pose et un projet est lancé, réalisé par Richard Brooks dès l’année suivante, il faut battre le fer tant qu’il est chaud…

Retranscrire la construction si particulière d’un roman protéiforme qui s’étale sur des années et qui ne pouvait s’achever avant la vie des principaux protagonistes n’est pas chose aisée, mais Brooks fait son possible, retrouvant dans le montage l’équilibre parallèle entre les pérégrinations du couple de tueurs et l’enquête policière proprement dite, le tout soigneusement accompagné par ces élégants mouvements de caméra dont il est coutumier.

Des visages anonymes ou presque (même John Forsythe et Paul Stewart, les comédiens les plus connus ont encore la tête de tout le monde) viennent renforcer l’aspect brut et exemplaire du fait divers qui bouleversa en son temps toute une nation par l’absence de mobile valable et l’ampleur du massacre qui touchait justement une de ces familles tellement typiques qu’elles en deviennent archétypales… Deux assassins, quatre victimes, beaucoup de possibilités...

A noter que le film apporte aussi une petite touche road-movie bienvenue à laquelle la musique de Quincy Jones participe allègrement.

L’aspect presque métaphysique de l’œuvre se retrouve dans une photographie noir et blanc contrastée et particulièrement somptueuse et des cadrages qui font véritablement honneur au travail de Conrad Hall. Très vite, on se rend compte qu’il ne s’agit pas ici d’un énième film policier mais que c’est l’humanité dans sa nature la plus profonde qui va apparaître par petites touches successives.

Les contraintes de toute adaptation font admettre sans trop de difficultés la quasi-disparition de Truman Capote ou de ce qu’il en reste, même si c’était de loin l’aspect le plus intéressant de l’œuvre écrite, elles ne suffiront par contre pas à justifier quelques lourdeurs psychologisantes à base de flashbacks qui affadissent considérablement la portée fulgurante du sujet.

C'est que comme à son habitude, hélas, Richard Brooks gâche un talent certain en se perdant dans une démonstration qui se voudrait intellectualisante mais qui devient affreusement didactique et considère un peu son public comme un ramassis de demeurés mentaux (ce qui est vrai le plus souvent, mais ce n’est pas une raison pour en tenir compte). On regrettera donc ces quelques plans appuyés sur l’enfance malheureuse du « héros », ces tentatives peu subtiles pour justifier l’injustifiable en se mettant absolument en dehors du propos qui importe ici, un propos qui est par-delà le bien et le mal, et tout sauf un résumé simpliste pour psychanalyste de comptoir.

Mais heureusement, et j’en remercie fortement la bonne fée qui glissa un beau matin le film sous mon paillasson harmonieusement ouvragé, la force de l’histoire transcende jusqu’à ces tentatives éhontées de sabotage involontaire, la preuve en étant cette fin qui porte en elle tous les défauts cités plus haut et qui n’en dégage pas moins une force absolument glaçante.
Torpenn

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