De toutes mes forces, film de Chad Chenouga

Nassim est en première dans un lycée parisien, bien intégré dans son équipe de copains et copines, sans être un élève brillant. Il n'a pas connu son père, sa mère, dépressive, l'élève seule. A son retour d'une sortie accrobranche avec ses copains, il la retrouve morte. Lors de l'enterrement, selon le rite juif, on comprend que sa tante ne peut le prendre en charge et qu'il a été confié à un foyer pour mineurs. De retour au lycée il feint de ne pas être affecté par ce deuil, annonce qu'il vit désormais chez son oncle, pour cacher qu'il a été placé dans un foyer au milieu de jeunes en détresse où il ne se reconnaît pas. Son allure bourgeoise effectivement cadre mal avec l'ensemble des jeunes, pour la plupart d'origine étrangère (noirs, chinois, maghrébins), un condensé de la misère humaine. Il fait face malgré tout à une tentative de chantage, et son intégration au groupe ne se fait que lentement. Le milieu est brutal, le ton monte très vite, l'affrontement physique est fréquent (un éducateur en tentant de maîtriser un adolescent furieux lui fracture le nez, et sera d'ailleurs déplacé). Une fille s'offre à lui, un peu bestialement, c'est pour lui la première fois. On apprendra plus tard qu'elle a subi dans son milieu familial de rudes épreuves qui l'ont vraisemblablement brisée. Elle va se trouver enceinte, peut-être de Nassim, peut-être d'autres, et finalement ira se faire avorter en Belgique. Dans sa chambre, assez vétuste, où tous ses trésors sont rangés dans une grande valise - une photo de sa mère, un manteau et quelques bijoux plus ou moins de pacotille (une paire de boucles d'oreille sera offerte à une copine de sa classe)- Nassim se passe inlassablement le dernier message très bref que sa mère avait enregistré sur son téléphone « Reviens vite » . A l'issue d'une fête chez son copain et sa sœur , il cède à l'invitation des parents qui lui demandent de passer la nuit au lieu de rejoindre « son oncle » dans la lointaine banlieue. Pendant la nuit, l'adolescente le rejoint, mais il ne peut conclure. Quand il rejoint le foyer, il doit affronter le rappel au règlement. Mais il fait à nouveau le mur et pour sanctionner sa fugue, Mme Cousin (Yolande Moreau) lui confisque son téléphone. Il est de plus en plus coupé des activités ludiques de ses vrais copains de lycée. Son caractère s'aigrit et il finira même par rompre brutalement avec ceux dont il était le plus proche. Dans le foyer pourtant, il trouve dans une jeune noire, Zawady, qui tranche nettement sur les autres – elle est en première année de médecine et s'acharne pour réussir – un soutien : il l'aidera à réviser son concours, elle l'aidera en mathématiques. Nassim semble remonter la pente, il s'intègre dans la vie du foyer et fait des progrès scolaires. Mais Zawady est recalée au concours et désespérée se défenestre. La cruauté de la situation de ces jeunes éclate dans cette phrase où Mme Cousin doit reconnaître son impuissance : « On lui avait déconseillé de poursuivre de telles études. De toute façon à 18 ans l'aide à l'enfance allait cesser de l'aider... ». Quel va-t-être l'avenir de Nassim qui sur décision de justice – sous l 'effet de l'alcool, de la drogue, et l'ivresse de la fête, ils ont mis le feu aux dossiers du foyers qui contiennent le résumé de leur vie et auxquels ils n'ont pas accès - doit changer de foyer et partir vers un centre encore plus lointain ?
Dans ce film, en partie autobiographique semble-t-il, le réalisateur a su éviter de sombrer dans le mélodrame, et rester au plus près de ses personnages. Nassim derrière la carapace qu'il a été capable de revêtir, demeure fragile. Il s'ouvre au monde dans les pires des conditions, déchiré par la mort de cette mère qu'il aimait avec ses maladresses d'adolescent, rejeté par ce qu'il lui reste de famille, projeté dans un milieu très violent qui lui était malgré tout totalement étranger, découvrant tour à tour l'amour dans sa bestialité et dans sa douceur, se retrouvant à 17 ans en situation de probable paternité, menacé dans son avenir puisque le couperet de la justice crée un nouveau fossé et encore plus sévèrement menacé inexorablement par l'âge limite que la société s’est fixée pour accompagner un enfant. Il va devoir reconstruire un autre environnement, sans ses copains du lycée où il était comme un poisson dans l'eau – les parents de sa copine sont les seuls adultes qui lui manifestent quelque affection, avec Mme Cousin la directrice du foyer qui remplit sa tâche de Sisyphe, sans illusion, avec fermeté et cœur : « si j'étais jeune, je t'épouserai », ose-t-elle déclarer à Nassim. Tous les aspects des élans sociaux sont abordés : la camaraderie lycéenne, le compagnonnage plus brutal des jeunes qui ne sont pas nés une cuillère d'argent à la bouche, mais pas moins fraternel, l'amour dans sa sauvagerie avec la fille paumée, et qu'on sait victime toute désignée pour la vie, l'amour de tendresse avec la copine de classe, de même que les deux aspects de la festivité, celle de la bourgeoisie policée, et celle de la classe sociale des rejetés qui répond comme elle peut à ce besoin de vivre qui nous habite tous et qui s’exprime différemment, deux visages d'une seule et même jeunesse que clive une société qui ne veut pas le reconnaître.
De toutes mes forces est un film courageux et politique avec ce que cet adjectif a d'exigence, qui nous impose d'ouvrir les yeux sur le monde réel dans lequel nous vivons, en nous efforçant plus ou moins de l'ignorer : un monde cruel sans aucune indulgence pour tous ceux qu'une déchirure qu'ils n'ont pas choisie, a fragilisés et que ''toutes les forces'' d'un seul individu n'arriveront que fort improbablement à recoudre. Tout éducateur qui a pris son métier au sérieux ne pourra que reconnaître des situations auxquelles il a été confronté, d'un côté comme de l'autre de la barrière. Le scénario avance fermement vers le drame final qui ne peut manquer d'interroger tout spectateur qui ne va pas simplement chercher dans le cinéma une distraction, mais tente de jeter par la fenêtre qu'un auteur lui propose un regard sur un monde qu'on préfère parfois oublier et qui explique bien des difficultés que notre société devrait affronter et qu'elle préfère bien trop souvent justifier à travers deux ou trois préjugés pour se dédouaner de ses responsabilités. Le film est tout entier servi par des acteurs toujours très justes, en particulier Yolande Moreau, nouvelle Louise Michel se retrouvant cette fois, en apparence du moins, de l'autre côté de la barricade, toujours aussi impuissante, pas davantage résignée, et bien sûr le jeune Khaled Alouach qui porte magnifiquement la fragilité et le courage de ce jeune qui doit, bien seul, faire face à la vie, sans pathos.
NB Dans un film désopilant de 2008 de Gustave Kervern et Benoît Delépine, Yolande Moreau incarnait une simple ouvrière qui décidait de faire payer à son patron la fermeture de l'atelier où elle travaillait, et qui découvrait chemin faisant tous les arcanes du pouvoir capitaliste. Un film à voir à tout prix, et que ce simple petit résumé ne rend que très imparfaitement.

Douncin
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le 5 mai 2017

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