Ça roucoule dans le grand bain

C’est par la poésie des formes et la puissance complémentaire des couleurs que Jerzy Skolimowski construit avec Deep end une envoûtante fable initiatique. A travers le visage angélique d’un jeune homme de 15 ans tombant amoureux de sa collègue de travail à peine plus âgée que lui, mais déjà rompue au monde des adultes, le cinéaste évoque la perte du regard innocent qu’est celui d’un jeune adolescent au moment où il comprend que les espoirs qu’il fondait pour la seconde partie de sa vie ne sont qu’illusions. Cette image pure et idéalisée qu’il se fait de sa jolie collègue, se désagrégeant au fur et à mesure qu’il fait la lumière sur la vie privée de cette dernière.

La quête de la vérité conduisant à l’abandon que fera le nouvel adulte de ses rêves d’adolescent est le seul fil rouge qui construit Deep End. Autour de cette thématique suffisamment riche pour tenir tout le film, Jerzy Skolimowski dépeint un portrait de l’Angleterre des 60’s, à cheval entre une liberté grivoise due à une récente émancipation sexuelle — on emmène sa copine voir un porno au ciné tranquillou — et quelques restes rigides issus de la culture britannique. Ces ambiances nocturnes dans un quartier de plaisir peuvent à ce titre faire sourire, puisque s’y côtoient, dans la même rue, petites chambres spartiates équipées pour quelques passes furtives, peepshow affichant le programme par des PLV racoleuses et club sélect dont l’entrée est filtrée par un portier guindé dans son uniforme.

A ces ambiances superbes, rendues possibles par une photographie rigoureuse et maîtrisée, qui jalonnent le chemin empli de sentiments qu’entreprend son jeune éphèbe, Jerzy Skolimowski oppose un jeu moins dirigé, beaucoup plus marqué par l’improvisation des deux acteurs qui envahissent tour à tour chaque parcelle de l’écran. Fraîchement installé à Londres lorsqu’il réalise Deep End, et peu familier avec la langue anglaise, le cinéaste réalise le film avec, pour toute feuille de route, des intentions, que ses acteurs peuvent dialoguer librement pendant les prises de vue.

Le résultat est troublant mais terriblement efficace. Et même si le jeu du jeune John Moulder-Brown paraît vraiment trop naïf, cela permet au personnage de contraster d’autant plus avec le côté terre à terre de la belle Sue, incarnée par le charme hypnotique de la belle Jane Asher. La relation qui s’installe entre les deux personnages bascule progressivement du jeu d’enfant, encouragé vicieusement par la jeune femme qui laisse entrevoir la possibilité d’une relation, à la pulsion passionnelle que génère sans crier gare l’état amoureux. Le final ponctue cette évolution à grand fracas, dans ce lieu symbolique qui a jalonné tout le film, une piscine vidée qui se remplit une dernière fois, pour nettoyer, à coup de chlore, les vestiges d’une passion trop dévorante. Image magnifique, qui résume en quelques secondes la puissance métaphorique et visuelle de Deep End, voyage initiatique à la forme admirable dont le fond s’est construit sans guide ni barrière. Une œuvre touchante qui par son final enragé, mais poétique, s’inscrit dans les esprits pour ne plus en sortir.

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oso
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le 21 sept. 2014

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