Dementia
6.4
Dementia

Moyen-métrage de John Parker (1955)

Comme le dit très justement Stéphane Bourgoin dans le passionnant bonus du DVD, il est des films qui sont une telle surprise et un tel choc qu'ils nous marquent à jamais... Cet incroyable Dementia, fait incontestablement partie des films de cette trempe.

Il faut avant tout préciser que ce film n'a rien de commun avec le plus célèbre Dementia 13 de Francis Ford Coppola...
Il n'est d'ailleurs même pas "étiquetable" dans la catégorie fantastique ou horrifique... je met en l'occurence au défi qui que ce soit de trouver une étiquette à coller sur ce film tant on navigue à vue dès les premières images entre le polar noir façon Welles ou Lang, l'Expressionnisme allemand, les films surréalistes de Bunuel, le fantastique, le cinéma muet (le film est sonore mais sans aucune dialogue), les films de Tod Browning, la comédie musicale, même... Bref, voila une œuvre qui, d'emblée, refuse d'entrer dans aucune case et qui s'impose dès les premiers plans par l'incroyable puissance de sa mise en scène et par l'univers hallucinant qu'elle déploie en 55 minutes !

C'est le seul film jamais réalisé par John Parker, le script est basé sur un cauchemar dont sa secrétaire particulière, Adrienne Barrett, lui avait fait le récit et dont elle interprète ici le rôle principal à l'écran (une idée déjà assez géniale en elle même...) avec un incroyable charisme et une liberté de jeu assez déconcertante pour l'époque.
Il nous raconte "l'histoire" d'une femme qui glisse dans la folie au fil du récit et qui se prend d'une frénésie meurtrière dont on ne saura jamais si elle est fantasmée par son esprit malade ou bien réelle...

Ce film est une expérience en soi, un voyage au cœur de la folie à la fois très cru et totalement onirique, glissant dans le même plan du film noir au surréalisme d'une manière aussi bizarrement logique qu'incongrue. Chaque image, chaque plan, chaque mouvement de caméra est totalement déconcertant mais touche systématiquement au génie pur.
Un film incroyable, tourné en 6 jours (!!!) en 1953 et qui, malheureusement, n'est jamais sorti en France en salles, fut totalement interdit en Angleterre et a connu une carrière plus que chaotique aux USA depuis sa sortie quasi-avortée en 55 jusqu'à la fin des années 60.

En effet, jugé trop choquant, il est d'abord interdit pendant deux ans par la censure... Puis il sort en 55 dans une seule salle d'Art et essai sur tout le territoire américain dans laquelle il fait un flop et ne tient que 2 semaines à l'affiche. autant dire que personne ne l'a vu...
John Parker désespéré, abandonne le cinéma et jette le film aux oubliettes en se souciant peu des droits... Il est alors "sauvé" par un exploitant peu scrupuleux, qui le remonte entièrement, coupant les scènes les plus dérangeantes, et le ressortant doté d'une insupportable et très "Ed Woodienne" voix off dans les circuits des "Double Feature" de Drive-in sous le titre idiot de "Daughter of Horror".

Cela n'est que dans les années 60 que des têtes chercheuses furieusement cinéphages tels que John Waters et Preston Sturges vont ressortir le film du placard dans sa version originale telle qu'elle fut montée par John Parker lui même et qu'il aura enfin l'honneur et la justice de retrouver le chemins des salles de cinéma dans le circuit underground des "Midnite Movies".
Cette nouvelle famille cinéphage le reconnaitra désormais à sa juste valeur, déchainant l'enthousiasme des cinéphiles et accédant rapidement au statut, plus que jamais mérité, de film culte...

Il reste malheureusement aujourd'hui encore totalement inconnu en France et l'épatante société de distribution Bach Films a, en 2008, entreprit de réparer cette injustice en sortant enfin le film en DVD, dans une copie de bonne qualité de son comme d'image, au format 4/3 heureusement préservé et accompagné de deux bonus d'exception:
Le commentaire absolument passionnant d'un érudit, Stéphane Bourgoin (à qui j'ai pompé la quasi-intégralité des infos présentées ici, rendons à César...) et la version intégrale du film remonté pour le circuit Drive in, sous le titre de Daughter of Horror

.Un film a découvrir absolument par tous les cinéphiles tant il est certains qu'il vous impressionnera et aussi pour l'influence immense qu'il a eu, sans aucun doute, sur la carrière de cinéastes comme David Lynch... en effet, Eraserhead, Lost Highway, Inland empire ou Twin Peaks auraient ils existé sans ce fantastique Dementia ?

A mon avis... rien n'est moins sur...

Edit: Sortie Le 17 Mai 2022 du film en édition Blu-ray dans le catalogue de l'excellente maison Potemkine

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le 9 juin 2022

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Foxart

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