Kathryn Bigelow est une vieille routarde du cinéma d’action américain, connue pour ses films d’action pour mecs, débordant de performances viriles et de testostérone, le plus célèbre étant le culte Point break. Mais elle semblait à la fois absente (peu de films) et en manque d’inspiration (les deux derniers opus étaient franchement moyens) ces dernières années. Ce Démineur est sensé être sa renaissance, avec un sujet chaud et actuel (la guerre en Irak) traité par la fenêtre du métier le plus dangereux qui soit.

Le parti pris est original et culotté : la guerre est bien une saloperie, mais c’est aussi une drogue. Et les démineurs font chercher leur shoot d’adrénaline comme le camé va traîner dans toutes les rues sordides du coin pour trouver son fix. Ce n’est pas en traînant les pieds que le sergent James se rend sur le champ de bataille, c’est avec le sourire aux lèvres et une excitation d’ado se rendant à son bal de promotion. Le contraste est violent : d’un côté, de la gaité, l’excitation et parfois même l’orgasme (la petite clope après chaque désamorçage en dit long…).

De l’autre côté, le tableau de fond sur Bagdad, les check-points, la mort omniprésente, la violence hallucinante des embuscades. Le procédé fait son effet, et nous fait rentrer de manière directe et profonde dans le film dès que les héros sont confrontés aux insurgés, soit directement, soit par bombes interposées. Cette vieille Kathryn n’a d’ailleurs pas perdu la main : chaque scène d’action est un véritable morceau de bravoure, avec trois points culminants traités différemment. La scène d’ouverture : sèche et tragique, dans une longue rue déserte. L’embuscade dans le désert : violente, lointaine et interminable. Et la conclusion, qui semble reboucler avec la scène d’ouverture. Mais contrairement à ce qu’on pouvait croire au vu du teasing, ce n’est pas un film entièrement dédié à une performance de mise en scène en temps de guerre (comme pouvait l’être La chute du faucon noir par exemple).Il y a des temps morts, des histoires parallèles, et il se passe beaucoup de choses en dehors du champ de bataille.

Ce n’est pas non plus un film politique, mais c’est au moins un film à thème. C’est la description d’une situation totalement apocalyptique dans un pays ou la mort peut frapper partout : ça peut paraître classique (et ça l’est probablement) mais cela a rarement été aussi bien mis en image, grâce à un montage sec et un gros travail sur la bande son. De même, la description de l’addiction du sergent qui tourne à l’obsession et met en danger tout le monde n’est pas un thème très novateur, mais il est formidablement illustré, et absolument pas raisonné… ni même soigné. On est parfois plus dans le polar ou le thriller que le film de guerre : le film brouille les pistes et ce n’est pas la moindre de ses qualités. Le film se permet donc d’aller là où on ne l’attend pas, il faut dire que la réalisatrice a l’âge et l’expérience pour se permettre quelques petits pieds de nez. Il faut un certain aplomb pour faire appel à des acteurs confirmés (Ralph Fiennes, Evangeline Lilly, David Morse, Guy Pearce, tous excellents par ailleurs) et les faire disparaître de l’écran dans les deux minutes. On ne perd pas au change pour autant, le petit nouveau qui doit endosser le rôle difficile de tête brûlée est très juste dans un rôle plus en nuance qu’il y paraît.

On pourra juste reprocher un petit trou d’air dans la deuxième partie du film, lorsque le rythme se traîne un peu, mais c’est pour mieux incruster ces images dans les esprits. Alors qu’on pouvait s’attendre à un une expérience forte, mais qui ne marquerait pas, ce film reste finalement bien gravé dans la mémoire même quelques heures après. Comme quoi dans un genre aussi ultra-vu que le film de guerre, il est toujours possible de réinventer.

Démineurs signe le renouveau de Kathryn Bigelow, haletant, prenant de bout de bout, une réussite tout simplement.
karimbch87
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2009

Créée

le 13 mars 2014

Critique lue 352 fois

Karim

Écrit par

Critique lue 352 fois

D'autres avis sur Démineurs

Démineurs
Nioto
10

Docteur Maboul

Etre démineur en Irak, c'est comme jouer à une sorte de Docteur Maboul niveau compétition internationale. Il faut couper le fil bleu avec des gants de boxe sans toucher les bords en portant une tenue...

le 26 juin 2010

45 j'aime

4

Démineurs
krawal
5

Critique de Démineurs par krawal

La thématique est forte, rarement exploitée au cinéma, mais le tout manque de cohérence/réalisme malgré la mise en scène caméra à l'épaule et cadre façon "attention film indé". La réalisation souffre...

le 3 mai 2010

39 j'aime

6

Démineurs
Kalian
6

Tic-tac...tic-tac

Le propos du film? La guerre, c'est la meilleure came qui existe pour un adrenaline junkie. Merci Kathryn, je n'aurais jamais deviné ça sans toi. Démineurs n'est donc pas un film très intelligent. Ce...

le 19 août 2010

30 j'aime

Du même critique

Locke
karimbch87
4

Une erreur qui coûte cher

Locke est un film qui se déroule en temps réel et qui ne met en scène qu'un seul personnage, Ivan Locke joué par Tom Hardy (Des Hommes sans Loi, Inception, La Taupe, Mad Max Fury Road), dans un seul...

le 4 août 2014

10 j'aime

Divergente 2 : L'Insurrection
karimbch87
5

Meilleur que le premier volet mais potentiel gâché par ses effets spéciaux

Suite directe de Divergente, l'Insurrection place Tris et Quatre en fuite pour mieux se venger de Jeanine qui découvre un artefact pouvant changer la donne. Meilleure intrigue que le premier volet,...

le 17 mars 2015

7 j'aime

Sleepy Hollow
karimbch87
7

Critique de Sleepy Hollow par Karim

Comme chaque début de saison TV, il y a des nouveautés, certaines malheureusement sans intérêts et d'autres un peu plus intéressantes, pour ma part Sleepy Hollow a intégré la seconde grâce à un beau...

le 10 juin 2014

7 j'aime