On connait la dévotion que Melville porte au cinéma américain hollywoodien en général et aux films noirs en particulier. Mais ce n'est pas pour autant qu'il envisage de faire carrière aux USA. Toute sa filmographie est tournée en France. Toute ? Non à l'exception de ce petit film noir qui est tourné en partie à New York.

Bien sûr, il y a à la base une intrigue policière, qui s'intéresse au délégué français à l'ONU qui a disparu. Un journaliste de l'AFP – Jean-Pierre Melville himself - est mis sur le coup pour découvrir – en une nuit – ce qui a bien pu lui arriver.

Mais l'intrigue policière est très secondaire dans ce film. Ce n'est qu'un prétexte pour faire une balade touristique dans un New York by night où on va circuler dans des rues brillamment éclairées par les néons des affiches des salles de spectacle. On va pénétrer dans les coulisses des studios d'enregistrement Capitol ou des théâtres de Broadway pour finir dans des clubs de jazz.

J'ai dit jazz ? Oui car c'est l'autre dimension du film qui complète la vision du New York nocturne. Un jazz des années cinquante omniprésent ; tiens, c'est justement celui que je préfère, le jazz en petite formation à 3 ou 4 musiciens et une chanteuse à la voix grave et bien balancée. Pas étonnant de voir que la musique est signée de Christian Chevalier et Martial Solal, deux jazzmen bien français. A noter que Martial Solal est le pianiste dans le dernier morceau dans la Pike Slip Inn.

Et je me dis – possible que je m'égare dans mon délire – je me dis que le petit père Melville s'est fait un petit plaisir en tournant ce petit polar, qui n'en n'est pas tout à fait un, à jouer au détective, à arpenter les rues de New York. Histoire de rentabiliser son voyage touristique en nous y impliquant ou en nous faisant partager son petit fantasme assouvi.

Bien sûr, le journaliste se fait accompagner d'un photographe démerdard pour l'aider dans son exploration. Le photographe qui a un bon lever de coude sur le whisky. Et en avant pour le cliché ! New York by night, Broadway et ses spectacles, la musique jazzy oui, mais toujours entre deux verres pris vite fait sur le gaz.

Mais Melville reste Melville en revenant aux fondamentaux et aux thèmes majeurs de sa filmographie… Pas question de salir la réputation de la personnalité disparue qui a été une grande figure de la Résistance. Pas question qu'un petit photographe free-lance se fasse du beurre avec des photos croustillantes sur le dos des personnes à qui on doit le respect. Et voilà que Melville reprend en main le film pour lui donner une direction assumée en égratignant au passage la presse à scandale.

Sa mise en scène. Il a peut-être fait mieux ailleurs, je ne sais pas au juste. Mais j'ai vraiment bien aimé sa propre entrée en scène… Voilà que le chef de l'AFP apostrophe quelqu'un à travers la salle de rédaction. La caméra erre pour trouver l'olibrius, Moreau, interpellé avec des fausses pistes sur des gens au téléphone ou à leur bureau. Puis, à la fin, la caméra s'immobilise sur le dos d'un gus en train de taper à la machine qui, sans se biler, se lève, recouvre sa machine, boit un verre d'eau au distributeur avant de consentir à faire face à la caméra laissant le spectateur découvrir qu'il s'agit de Melville. Du cabotinage ? Non, c'est génial et c'est amusant. Un peu le rôle du détective américain sorti d'un film noir de Hawks ou de Huston qui en a vu d'autres…

"Deux hommes dans Manhattan" est un petit film noir envoûtant. Enfin dans lequel j'ai bien voulu me laisser envoûter par cette atmosphère remplie de (bon) jazz.


JeanG55
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le 28 sept. 2022

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